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Belgique : le marché se recompose

Alain Trellu

Belgique : le marché se recompose

Sous les projecteurs, le week-end dernier, à la Foire du livre de Bruxelles, le marché du livre francophone en Belgique est fragilisé par le tassement des ventes et l’absence de prix réglementé. Pour résister, les professionnels jouent collectif.

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Par Anne-Laure Walter
Créé le 06.03.2015 à 01h03 ,
Mis à jour le 11.03.2015 à 17h09

Sous la verrière du site industriel Tour et taxis réhabilité, à l’ouverture de la 45e Foire du livre de Bruxelles (26 février-2 mars), une pancarte de la Fnac alertait le chaland d’un rabais de 10 % sur tout son stand. Au grand dam des libraires voisins. Dans la matinée, le panneau était retiré. Cette anecdote témoigne d’un malaise croissant des libraires belges francophones, fragilisés par l’absence de prix unique dans le pays et par la montée en puissance d’Amazon. "Amazon a bien compris le système, note Régis Delcourt, président du Syndicat des libraires francophones de Belgique. Sur son site français, il interpelle les lecteurs belges, en proposant une remise de 10 % au public belge sur des prix non tabellisés comme en France et avec une gratuité des frais de ports comme en Belgique. C’est une concurrence déloyale et agressive." Outre l’absence de prix unique, les libraires fustigent en effet cette tabelle, qui majore de 10 à 17 % les prix des livres édités en France et vendus en Belgique par Hachette et Interforum. "La tabelle donne des armes aux opérateurs du style Amazon et nous prend en otage, ajoute Philippe Goffe, de la librairie Graffiti de Waterloo. Sur le dernier Amélie Nothomb, nous avons noté une différence de 20 % entre le prix neuf sur Amazon et chez un libraire belge." Et lorsqu’un éditeur passe en distribution chez Hachette ou Interforum, comme Les Arènes ou Odile Jacob en 2014, le prix de vente d’une partie de l’assortiment change du jour au lendemain. Un paramètre crucial dans les prévisions de chiffre d’affaires. "C’est pourquoi nous sommes inquiets de la concentration de la distribution, et sommes attentifs aux rumeurs de rapprochements entre Interforum et Volumen. Une tabelle sur le catalogue Volumen change la physionomie de notre année 2015 !" confie Régis Delcourt.

Luce Wilquin
L’éditrice Luce Wilquin a publié plus de 500 ouvrages francophones - Photo ANNE-LAURE WALTER

Plat marché au plat pays

S’il n’existe pas de données officielles, le marché du livre francophone en Belgique s’est révélé en 2014 à l’image du pays, plat. Les professionnels évoquent un recul de l’activité autour de 2 %, soit un point et demi au-dessous du marché français. La Fnac a annoncé un tassement des ventes sur les magasins belges de 2,6 %, et Régis Delcourt, de son côté, affirme que "grosso modo la librairie indépendante se maintient, grâce au rebond des ventes en fin d’année et un début 2015 encourageant". Côté distribution, Anne Lemaire, directrice commerciale chez Interforum Benelux (Editis), note un léger recul notamment sur ce premier niveau mais avec de belles progressions pour une chaîne de grandes surfaces culturelles, tandis que Patrick Moller, directeur général de Dilibel (diffusion-distribution d’Hachette en Wallonie), parvient à faire le même chiffre d’affaires qu’en 2013, année marquée par la publication de Cinquante nuances de Grey, un Dan Brown, un Astérix et le Goncourt pour Pierre Lemaitre chez Albin Michel, grâce à la BD (+ 3 %) et à l’arrivée d’un nouveau distribué providentiel, Les Arènes, publiant le best-seller de l’année, Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler. Dans la grande distribution, les ventes de livres résistent mieux à la crise en Belgique qu’en France, notamment parce que les gros distributeurs pratiquent une gestion plus directe des rayons en faisant du "rack jobbing", à savoir que la grande surface leur délègue la gestion du stock et la mise en rayon.

L’inquiétude se porte cependant sur la trésorerie des libraires, comme le raconte Anne Lemaire : "Quand j’étais libraire et que les commandes arrivaient, je me disais toujours "où vais-je les mettre ?" Maintenant ils se demandent "comment vais-je les payer ?"". Ces difficultés entraînent une baisse des commandes au profit de réassorts plus fréquents. Patrick Moller préfère voir le bon côté des choses, constatant un "assainissement des flux avec une baisse de trois points des taux de retour en 2014".

Contrecoups

Outre le tassement des ventes, les derniers mois ont été passablement chahutés pour les points de vente de livres en Belgique, marqués par une recomposition du paysage avec des fermetures d’indépendants comme Calligrammes à Wavre fin janvier et des rachats comme celui, l’été dernier, de la chaîne Club (31 librairies-papeteries) par les Flamands de Standaard Boekhandel, qui compte 145 librairies en Flandre (200 millions d’euros de CA en 2013). De plus, subissant les contrecoups de la liquidation de Chapitre en France et du recul de l’activité club, la filiale belge du groupe Actissia a mis en vente ses librairies Libris Agora. Si celle de Liège vient de trouver preneur (voir encadré, p. 25), le sort de celles de Louvain-la-Neuve et de Namur reste inconnu. Quant à Libris Toison d’or à Bruxelles, après quarante et un ans d’existence, elle baissera le rideau en août prochain.

La diffusion-distribution tout au long de l’année 2014 s’est adaptée à ce paysage en mutation. Interforum Benelux s’est réorganisé en interne, renforçant le deuxième niveau avec le recrutement de deux représentants et créant un poste de "relations éditeurs" qu’occupe désormais Anne Lemaire pour affiner l’analyse du marché, la gestion des stocks et développer les ventes. Flammarion a importé en Belgique la politique menée depuis 2012 par Pascale Buet, la directrice de Flammarion Diffusion en France, à savoir une surremise de 2 points sur les commandes de fonds. Le directeur de l’export Vincent Le Tacon a constaté que cette politique couplée à un "effet catalogue" (parution du Michel Houellebecq et de plusieurs BD à succès chez Casterman) a entraîné une hausse de 10 % de l’activité en Belgique. Là aussi, une réorganisation interne est en cours puisque, depuis le 1er mars, tout l’export Madrigall (Gallimard plus Flammarion) est réuni en un service commun qu’il dirige. Cela ne concerne pas le marché belge pour Gallimard, car les représentants ne seront plus rattachés au service export mais à la diffusion en France.

Le livre, sport collectif

Et dans le pays, la solution anticrise belge est de jouer collectif. Ainsi les professionnels du livre ont fait preuve de dynamisme et de capacité d’adaptation. L’impulsion a été donnée en 2010 avec un partenariat interprofessionnel, le Pilen, chargé de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement des différents acteurs de la chaîne du livre dans les mutations technologiques. Deux grands projets communs viennent de voir le jour : d’une part Lirtuel, une plateforme de prêt numérique présentée par les bibliothèques publiques belges, d’autre part Librel, un portail commun porté par le syndicat de la librairie, fédérant trente enseignes pour la vente de livres numériques. La question d’étendre ce portail au livre papier n’est pour le moment pas à l’ordre du jour car cela nécessiterait de lourds investissements en librairie pour développer et unifier les systèmes de gestion. De plus, l’absence de prix unifiés rend l’entreprise impossible. Mais, sur ce point, les libraires entrevoient un nouvel espoir. "Nous sommes à un moment important, beaucoup de choses sont ces jours-ci rediscutées", affirme Philippe Goffe. En effet, suite à la 6e réforme de l’Etat, le prix était devenu matière régionale et non fédérale. Le dossier peut être relancé, ce qui a été fait en Flandre où un projet de décret a été initié par le ministre flamand de la culture, Sven Gatz. L’Association des éditeurs belges (Adeb) a envoyé un courrier à son homologue wallonne Joëlle Milquet prônant une réglementation du prix du livre avec un rabais maximal de 10 % dans les six mois de la publication du livre. En parallèle, au niveau national, car Bruxelles par exemple est coincée entre les deux régions linguistiques, deux propositions de lois viennent d’être déposées par la francophone Muriel Gerkens, députée Ecolo, et par les catholiques flamands du CD & V. Flamands et Wallons semblent aller dans le même sens, ce qui est plutôt rassurant pour un pays qui a mis 541 jours à s’entendre pour se doter de son actuel gouvernement.

Renaissance du livre : maîtriser la chaîne de bout en bout

Administrateur de Renaissance du livre, le plus grand groupe d’édition belge, Alain van Gelderen investit désormais dans la librairie.- Photo DR

Alain van Gelderen souhaite contrôler la chaîne du livre d’un bout à l’autre. Dernière acquisition en date pour l’administrateur délégué de Renaissance du livre, qui regroupe les marques André Versaille, Luc Pire, De Rouck, "Espace vital" et Grand miroir : une librairie. Le 1er mars, il a acquis la librairie Libris Agora de Liège, mise en vente par Actissia, ainsi que Libris Agora Service, fournisseur pour les écoles, bibliothèques et collectivités. Quelques jours plus tôt, il a racheté les autres éditions Luc Pire… C’est une histoire complexe : dans les années 1990, Luc Pire crée Tournesol conseils et se lance dans l’édition sous la marque Luc Pire. Il rachète Labor et Renaissance du livre et développe RTL éditions. Suite à un désaccord avec RTL, Luc Pire quitte le groupe. Alain van Gelderen rachète peu de temps après Tournesol qu’il rebaptise Renaissance du livre. En 2011, Luc Pire remonte une structure, les éditions Naimette, et édite sous son propre nom, qu’il a eu le droit de conserver. Très vite, cependant, il quitte la société que Laurence Housiaux dirige désormais. Il y a donc à deux endroits des livres sous le nom éditions Luc Pire, et c’est pour simplifier cela qu’Alain van Gelderen a décidé de réunir les deux fonds en rachetant 100 % des parts des éditions Naimette. L’homme d’affaires a par ailleurs investi dans un maillon intermédiaire puisqu’il a repris en septembre La Caravelle, qui diffuse et distribue des éditeurs belges et les français non représentés par les filiales locales d’Hachette et d’Editis, ainsi qu’en décembre Papyrus Book Agency distribution (livres en anglais). Le groupe Renaissance du livre compte désormais 82 personnes et prévoit un chiffre d’affaires 2015 de 25 millions d’euros.

Avec Tulitu, un vent québécois souffle sur Bruxelles

Livres québécois et défense de la littérature LGBT sont les deux pôles de la nouvelle enseigne, sise dans le quartier Sainte-Catherine..- Photo BILLY ROBINSON

Le 5 février dernier, une nouvelle librairie générale a ouvert ses portes au 55 de la rue de Flandre, dans le quartier Sainte-Catherine de Bruxelles. Sur 80 m2, cette librairie en bois clair, conçue par l’architecte Olivier Bastin, a été fondée par Ariane Herman, juriste de formation, et Dominique Janelle, qui a fait ses classes de libraire chez Olivieri à Montréal. La libraire a rencontré cette passionnée de livres québécois au stand de Québec édition à la Foire du livre de Bruxelles en 2009. Depuis, les deux amies partagent leurs lectures et leurs idées de l’un ou l’autre côté de l’Atlantique, ce qui les a conduites à créer cette librairie.

L’assortiment de Tulitu s’articule autour de deux pôles : le livre québécois - d’où le nom de la librairie, une expression québécoise par excellence - et la défense de la littérature gay, lesbienne, queer qui n’a plus de lieu bruxellois depuis la fermeture en mars 2014 de la librairie Darakan. De très beaux pictogrammes conçus par le graphiste Simon Demeuteur permettent d’identifier chaque rayon.

Le lieu, sur deux étages, dispose d’un espace d’accrochage qui accueille l’exposition "Paul et Jane" conçue par les éditions La Pastèque, d’un coin bar et, chose rare, d’une résidence de libraires. Ainsi des libraires québécois viendront partager leur expertise, leurs lectures coups de cœur et leur passion pour le livre québécois, à l’instar de Billy Robinson, l’enthousiaste premier résident qui a "découvert il y a trois ans la curiosité des Belges pour la littérature québécoise et savoure chaque seconde à Bruxelles".

Joëlle Milquet : "Il faut cibler les enfants dès la maternelle"

 

Joëlle Milquet, ministre wallone de la Culture et de l’Education, a lancé en marge de la Foire du livre un plan lecture.

 

A la tribune, la ministre Joëlle Milquet.- Photo ANNE-LAURE WALTER

Ancienne ministre de l’Intérieur et fille de professeurs de français, Joëlle Milquet, ministre de la Culture du gouvernement de la Communauté française de Belgique, s’est montrée déterminée, le 28 février lors de la présentation de son plan lecture en Fédération Wallonie-Bruxelles, à mobiliser l’ensemble des acteurs du secteur pour remettre la lecture au centre de l’apprentissage.

Qu’est-ce qui a rendu nécessaire ce plan lecture ?

Nous avons constaté un déclin des pratiques de lecture des adultes puisque le pourcentage de personnes n’ayant lu aucun livre durant l’année écoulée est passé en Belgique de 22 % en 1985 à 38 % actuellement. En outre, pour la jeunesse, la lecture est un outil essentiel pour construire des citoyens libres et indépendants. Cette maîtrise au niveau scolaire est fondamentale. Or, à la fin du premier degré secondaire, on constate chez les élèves francophones un niveau de lecture plus bas que chez leurs concitoyens néerlandophones. Il faut inverser la tendance et cibler les enfants dès la maternelle.

Vous évoquez une aide aux libraires pour aborder les défis du prix du livre. Les compétences en la matière ont été transférées au niveau régional. Etes-vous favorable à une loi, calquée sur la loi Lang française ?

Oui, je lance tout un travail sur ce point. Mais il faudrait d’abord bien clarifier les choses en termes de compétence car je ne suis pas du tout sûre qu’avoir des politiques flamandes et francophones qui diffèrent sur le prix du livre soit très opportun. Si on peut garder un cadre fédéral ce sera plus heureux, ou du moins un accord de coopération des deux côtés.

A l’heure d’Amazon, la tabelle vous paraît-elle un handicap pour les libraires belges ?

C’est un sujet dont je vais parler avec la ministre de la Culture française, même si elle n’est pas la seule compétente en la matière.


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