"Voilà : Thierry a étalé ses selles et son sang sur le mur des toilettes, pour qu’on se souvienne qu’on est fait de merde et de passion." Le premier roman de Mary Dorsan nous plonge dans l’odeur et la fureur du milieu dans lequel elle travaille, l’hôpital psychiatrique accueillant des adolescents pour qui le présent nous reliant à autrui dans l’actualité de nos paroles et de nos actions s’est aboli.
La folie ignore le temps. C’est l’éternel présent du trauma, le mode de la répétition qui forme une boucle et se resserre en nœud coulant. Mais Caroline - sorte d’alter ego de la primo-romancière - continue bon an mal an à tenter d’établir un dialogue avec Thierry, Jean-Marc, Roberto, Djamel, Vincent et les autres, à tisser ce lien ténu avec le réel, comme accrochée à l’espoir d’un fil qui tirerait ses patients du labyrinthe de l’enfermement. Dans l’appartement thérapeutique, service rattaché à l’hôpital, on essaie de faire autrement, on discute en groupe, on organise des sorties, on tente d’échapper aux protocoles médicamenteux. Si les protagonistes sont ces jeunes en souffrance, les psychiatres, les infirmiers, mais aussi les ASH (agents des services hospitaliers), les gens de l’ASE (Aide sociale à l’enfance), de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) ou du SAVS (Service d’accompagnement à la vie sociale) ne jouent pas un rôle moins grand.
Mary Dorman, par une écriture sobre mais habitée par ses lectures (Romain Gary, Svevo, Perec, Bolaño), dépeint l’administration hospitalière parfois étouffée par ses propres règles, happée par la lourdeur du système et oublieuse du vrai soin : tel patient rompu à l’exercice des entretiens sert le mot "angoisse" à qui veut bien l’entendre et le noter dans son rapport. Caroline, elle, entend prêter une attention qui s’étendrait jusqu’au silence. Sean J. Rose