3 septembre > Premier Roman France

Le premier roman d’Albena Dimitrova est une somptueuse histoire d’amour à plus d’un titre : récit d’une passion souveraine entre une jeune fille et un homme mûr, une lycéenne et un cadre du Parti dans la Bulgarie encore communiste de la seconde moitié des années 1980 ; c’est aussi la traduction d’un lien remarquablement physique et sensuel avec le français, langue dans laquelle l’auteure, née à Sofia en 1969, économiste de formation, essayiste, dramaturge, a choisi de raconter, à la première personne, les souvenirs d’Alba qui a eu 20 ans en 1989.

La narratrice en a 17 quand, à l’hôpital du Gouvernement où elle séjourne depuis plusieurs mois, soignée pour une paralysie inexpliquée et envahissante de la jambe gauche, elle rencontre Guéo, un membre du Politburo, traité aux électrochocs, qui a transformé sa chambre en "un véritable cabinet ministériel". Près de quarante ans les séparent. Leur relation licencieuse, exposée, épiée de tous côtés, qui agrège les forces d’un premier et d’un dernier amour, l’inaugural et le crépusculaire, durera "trois ans presque quatre".

"Etait-ce un pansement sur nos mondes qui se désagrégeaient ?" se demande l’Alba d’aujourd’hui dans ce roman plein d’hypothèses sans résolutions. Car Nous dînerons en français est loin de n’être qu’une romance contrariée. Dans ce roman, le politique est consubstantiel du sentimental, et l’histoire d’amour s’inscrit dans l’intime d’un régime, d’une époque qui vit ses derniers jours. En ces années de perestroïka, Guéo, né à Varna au bord de la mer Noire, formé à l’école du KGB, ancien chargé d’affaires de la mission bulgare à l’Onu, pressent clairement la faillite et est chargé de rédiger un "rapport sur la réforme vitale du communisme" pour le Comité central du Parti. Le couple incarne cet équilibre qui vacille, pris entre épuisement et embrasement.

"Cette dernière année, l’urgence s’installait comme seul présent possible." Alba fêtera ses 20 ans sans Guéo, dans le château normand d’un de ses amis, son "premier anniversaire en français". Ce français dont la jeune femme "hume l’odeur" dans le métro quand son amant, acculé, la dépose à Paris puis repart, la laissant seule en lui promettant de la retrouver plus tard. "J’ai débarqué dans le français pieds nus et sans manteau, aimant sa poésie, son monde", raconte Alba, "Cette langue se laissait approcher comme la musique se délivre aux Tziganes, jamais écrite, directement par le rythme, à même la chair." Dans ce français langue d’accueil, affranchi et revitalisé, Albena Dimitrova a magnifiquement donné forme aux larmes d’Alba, pour ne laisser, haine et amertume diluées, que le goût d’un chagrin "viable" et d’une nostalgie reconnaissante. Véronique Rossignol

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