Elle a cédé l'été dernier La Colline aux livres, à Bergerac, une librairie de 130 m2 connue et reconnue dans la profession, pour reprendre Le Bateau livre, un café-librairie de 90 m2 installé dans le village de Pénestin, sur la presqu'île de Guérande. A 39 ans, Coline Hugel affiche un parcours sans fautes dont témoigne le succès de la librairie de Bergerac, qu'elle avait reprise en 2007 et portée au 331e rang du classement Livres Hebdo 2018 des 400 premières librairies françaises. Mais cette réussite ne l'a pas empêchée de tourner la page pour se lancer un nouveau défi en reprenant un établissement plus petit, mais surtout très différent.
Pourquoi vous être séparée d'une librairie qui faisait référence pour reprendre un café-librairie dans un village de 1 800 habitants à l'année ?
Coline Hugel : Après onze ans à la tête de La Colline aux livres, j'étais arrivée au bout d'un cycle et au bout de mon projet. J'avais envie de développer d'autres choses, mais l'espace
ne s'y prêtait pas. Par ailleurs, j'avais de plus en plus l'impression de me faire absorber par des tâches administratives, de management d'équipe, de gestion de planning. J'ai eu besoin de lever le pied. De changer de rythme de vie. Ici, j'ai l'impression de chausser des charentaises. Et j'ai la mer, quel bonheur!
Comment expliquez-vous le succès de votre librairie de Bergerac qui a vu, en onze ans, son chiffre d'affaires passer de 200 000 à près de 600 000 euros ?
C.H. : Je pense avoir ramené une dynamique dans un lieu qui était
dirigé depuis vingt-trois ans par ses fondateurs. Quand je suis arrivée, j'avais 28 ans et une énergie incroyable ! Et j'avais beaucoup appris au cours de mes six années chez Sauramps, à Montpellier.
Quelles réflexions sur le métier vous amènent aujourd'hui à choisir cette activité ?
C. H. : J'en ai assez de la sacro-sainte librairie où il ne faut pas faire de bruit, où certaines personnes n'osent pas rentrer. Il faut au contraire ouvrir les librairies, les rendre conviviales, en faire des lieux de vie. Le café permet de casser les frontières. C'est un prétexte. Les gens disent « je vais au café », et puis ils font un tour parmi les livres, discutent et très souvent achètent.
Avez-vous visité beaucoup d'autres établissements avant de choisir celui de Pénestin ?
C.H. : Aucun, d'autant qu'au départ je souhaitais plutôt créer que reprendre. Le Bateau livre est le seul que j'ai visité. Apprenant qu'il était à vendre, des amis m'avaient conseillée d'aller le voir. Je m'y suis immédiatement sentie chez moi. Comme pour la librairie de Bergerac : à l'époque déjà, je n'avais visité qu'elle. En revanche, je suis revenue plusieurs fois à Pénestin pour valider ma décision.
Qu'est-ce qui vous a séduit au Bateau livre ?
C. H. : L'esprit du lieu, engagé et militant, avec des choix qui me correspondent tant dans les propositions de nourritures spirituelles que terrestres. En restauration par exemple, les produits bio sont privilégiés, en phase d'ailleurs avec la demande locale. Un autre argument a joué : la possibilité qui m'était offerte de racheter les murs de la maison qui abrite à la fois la librairie et mon logement.
Quel est le modèle économique de ce café-librairie ?
C. H. : Le chiffre d'affaires est réalisé à 65 % par les ventes de livres qui s'élèvent à 120 000 euros, mais les marges viennent du café. Ce sont elles qui font vivre le lieu. D'autant que la librairie est classée en second niveau.
Passer du premier au second niveau : le choc est rude ?
C. H. : Ce n'est rien de le dire ! Des éditeurs me soutiennent, mais d'autres ne jouent pas du tout le jeu. Et même pour les premiers, c'est parce qu'ils me connaissent que je peux négocier les remises. Pourtant, c'est quand on apporte de la culture dans des endroits improbables que l'on a besoin d'être soutenu. C'est là qu'il faut nous accorder 35 % et non pas 28 % comme certains me l'ont proposé. Comment vivre avec 28 % ?
Quels moyens avez-vous pour négocier avec les éditeurs peu enclins à jouer le jeu ?
C. H. : Ici, les clients viennent chercher ce que j'ai aimé. Si je fais l'impasse sur certains éditeurs, ils ne m'en tiendront pas rigueur. C'est ce que j'ai dit à l'un de mes fournisseurs, qui me proposait royalement une surremise de 2 points sur ma commande d'implantation de 2 000 euros. Alors qu'à Bergerac la moindre mise en avant me permettait d'avoir tout de suite une surremise de 5 points. Les différences de traitement sont incroyables. Il faut que les éditeurs comprennent qu'ils doivent soutenir le deuxième niveau.
Allez-vous faire évoluer l'offre du Bateau livre ?
C. H. : Mes goûts sont très proches de ceux de Pascal et Marie-Paule, mes prédécesseurs. En littérature notamment. Mais je vais développer certains rayons : la jeunesse, la cuisine qui est une passion chez moi, et surtout la BD qui était quasi absente.
Comment conçoit-on l'assortiment d'une librairie-café ?
C. H. : La constitution d'un fonds est davantage liée à un libraire qu'à un lieu. C'est encore plus vrai dans une librairie comme Le Bateau livre, où les clients savent que nous ne pouvons pas avoir une offre exhaustive. D'ailleurs ce n'est pas ce qu'ils cherchent en venant ici. Ils veulent au contraire trouver nos sélections. Cela étant, je ne propose pas exactement la même chose qu'à Bergerac. Par exemple, j'ai un rayon réduit en sciences humaines, mais développé en écologie.
Qui sont les clients ?
C. H. : Essentiellement des habitués. Des Nantais ou des Nazairiens qui ont une résidence secondaire ici et qui viennent même les week-ends. Etant éloignés de leurs préoccupations quotidiennes, ils sont disponibles, prennent le temps de flâner... et ne s'énervent pas lorsqu'il leur faut patienter pour avoir un renseignement ou pour payer. Il y a beaucoup moins de stress qu'à Bergerac.
Gérer un café-bar-restauration est un nouveau métier pour vous. Comment y faites-vous face ?
C. H. : J'ai dû apprendre à porter un plateau sur une main sans rien renverser. Blague à part, c'est beaucoup plus facile de gérer un bar, même avec une petite activité de restauration, que de gérer une librairie. De plus, je suis épaulée par un homme qui travaille ici, sur cette activité, depuis six ans.
Comment gère-t-on un lieu saisonnier ?
C. H. : Pénestin compte 1 800 habitants en hiver mais 30 000 l'été. Entre les deux, il y a les vacances, les jours fériés et les week-ends. L'ouverture du lieu suit ces rythmes. Hors vacances, il n'ouvre que du vendredi au dimanche. Et pendant les vacances, tous les jours, avec une équipe renforcée l'été, dont une personne en cuisine.
De quel potentiel de développement disposez-vous ?
C. H. : Cet établissement polymorphe permet de développer beaucoup d'animations différentes. Il y a déjà des expositions, des concerts, des rencontres... Mais je vais aussi proposer des dégustations de vins avec des lectures, des ateliers de cuisine, j'aimerais accueillir un petit marché alimentaire devant la librairie sur un espace qui m'appartient. L'objectif est d'intégrer encore plus la librairie à la vie locale. En outre, cet été, la librairie papeterie d'Herbignac a fermé ses portes, ce qui me ramène une nouvelle clientèle de bibliothèques, d'écoles...
Vous étiez présidente de l'Association Librairies indépendantes en Nouvelle-Aquitaine. En Bretagne, il existe une Fédération des cafés et librairies Calibreizh. Allez vous y adhérer ?
C. H. : Je crois et même je sur-crois au collectif. Donc, oui, j'envisage d'adhérer, mais je ne veux pas m'imposer. En revanche, je suis prête à donner des idées, à apporter certains acquis de mon expérience en Aquitaine où nous avons su fédérer les énergies et faire de nos différences une force. Il y a aussi en Bretagne un projet d'association de librairies qui me paraît intéressant.