Avant-portrait

Jean-Baptiste Evette est un écrivain rare : quatre romans seulement depuis ses débuts en 1997 avec Jordan Fantosme (Gallimard), une espèce de polar victorien qui demeure son plus grand succès. A quoi s’ajoutent quelques titres pour la jeunesse, comme A la poursuite de l’enfantôme (Gallimard Jeunesse, 2008), « mais cette histoire de petite fille ventriloque ou envoûtée a fait un peu peur ! », dit-il. Plus quelques traductions de littérature africaine anglophone - par exemple Soleil noir du Zimbabwéen Marechera, paru chez Vents d’ailleurs en 2012 -, « par amour de l’Angleterre » et « passion pour le continent africain ». Evette a notamment voyagé en Afrique du Sud, au Mali, et au Burkina Faso, pays avec lequel il a « un lien particulier » : « Mon arrière-grand-père était militaire dans la coloniale, en poste en Haute-Volta, comme on disait à l’époque, où il a "maintenu l’ordre" et construit des routes. Je suis hanté par ce passé familial, et par la colonisation. » Ce qui explique peut-être pourquoi, à la fin de Tuer Napoléon III, les deux héros, Etienne Sombre et sa femme Emilie, se retrouvent en Algérie, alors département français, où le jeune homme, conspirateur antibonapartiste, a été déporté, à la prison de Lambèse.

L’écrivain, qui a eu sa période Barbey d’Aurevilly mais « sans la barbe » (« Mes amis m’appelaient "le dandy des campagnes" »), est un fin connaisseur du XIXe siècle, l’âge d’or du roman français classique. « C’est dans Hugo, Balzac, Flaubert, Zola que j’ai découvert la littérature. Récemment, j’ai relu tous les Rougon-Macquart. » Sans doute l’entreprise dont Tuer Napoléon III, roman politique et social sous le second Empire, est le plus proche. Un gros livre sur lequel Jean-Baptiste Evette a travaillé « six ou sept ans », qui fait « plus d’un million de signes » (« Soit six ou sept Echenoz », s’amuse-t-il). « C’est un pavé pour les barricades », nourri des Rougon-Macquart et des Misérables, donc, mais aussi du Grand Larousse : Etienne Sombre étant ouvrier typographe, le roman se compose de vingt-six chapitres, de A à Z, où la forme des lettres est expliquée d’après un traité de l’époque. Ainsi, « le "J", d’invention tardive, est un jumeau difforme du "I". Comme lui, il indique ». « Tout ça est documenté de manière épouvantable », poursuit l’auteur : tous les complots, les attentats contre Louis-Napoléon Bonaparte sont authentiques. Même les deux inspecteurs de police qui persécutent le héros, Nique et Turlure, ont existé ! On comprend mieux le temps qu’il a passé à son établi, d’autant que cet « anti-minimaliste » est aussi un perfectionniste : «Je voudrais rendre un manuscrit parfait. L’idée qu’il puisse demeurer dans un texte des fautes ou des imperfections me rend malade. On pourrait aussi ne jamais rendre le livre !»

 

 

Héritier du roman-feuilleton

Heureusement pour nous et pour son éditeur, Jean-Baptiste Evette s’est décidé à « lâcher » son texte, avec lequel Denis Bouchain inaugure chez Plon une nouvelle collection, « L’Histoire en roman ». Un intitulé qui va comme un gant à un écrivain dont le projet avait été retoqué chez son éditeur principal, parce que… « trop romanesque ». Evette le revendique justement, ce « romanesque », en digne héritier « du roman-feuilleton via les surréalistes » et disciple de Calvino, celui de la trilogie Nos ancêtres. Inexistants, perchés ou pourfendus, les héros de Jordan Fantosme, son premier roman, accepté chez Gallimard « grâce à Catherine Lépront et Michel Mohrt », après avoir été refusé par nombre d’autres ; ceux de Rue de la Femme-sans-Tête (Gallimard, 2000), et des Spadassins (Gallimard, 2005), plongée dans un XVIe siècle, « mélange de raffinement artistique et de barbarie ». Comme le nôtre. D’ailleurs, il y aurait du Napoléon III (« le Petit », selon Hugo) chez Nicolas Sarkozy. « Mon idée est de rechercher des épisodes primitifs, qui auraient engendré notre époque», explique l’écrivain. Comme la colonisation, encore elle.

 

Jean-Baptiste Evette, qui vit aujourd’hui de sa plume dans le Perche, non loin d’Alençon où il a enseigné, n’est pas pour autant déconnecté de la réalité contemporaine. Ni de ses combats. Ancien objecteur de conscience transformé en alphabétiseur, ex-professeur, il travaille aussi dans le théâtre de rue. Sa pièce La ligne jaune, consacrée à l’histoire de l’usine Renault de Cléon et fondée sur des témoignages d’ouvriers, a été jouée par la compagnie - de son frère - Les Grandes Personnes, jusque chez PSA à Aulnay-sous-Bois.

Côté chantiers, Evette a en cours un roman « contemporain », l’histoire de « quelqu’un qui disparaît dans le Lot », et devrait donner une suite à Tuer Napoléon III, le « roman algérien » des aventures d’Etienne Sombre. Avant 2021, s’il vous plaît.Jean-Claude Perrier

Tuer Napoléon III, Jean-Baptiste Evette, Plon, 576 p., ISBN : 978-2-259-22094-1, mise en vente le 30 janvier.

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