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Dossier Tourisme: la prime à l’innovation

Calanque de Sormiou, près de Marseille, mars 2018. - Photo Olivier Dion

Dossier Tourisme: la prime à l’innovation

Sur un marché des livres de tourisme qui s’est resserré en 2017, les collections récemment refondues ont plutôt mieux résisté tandis que le succès des guides d’inspiration a offert une rare bouffée d’oxygène aux éditeurs.

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Par Charles Knappek
Créé le 16.03.2018 à 11h10

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Année électorale oblige, 2017 aura été difficile pour les éditeurs de livres de tourisme comme pour les autres. Selon GFK, le segment des guides stricto sensu a reculé de 4,6 % en valeur, plombé par un premier semestre que d’aucuns dépeignent comme "catastrophique", en particulier dans les librairies de premier niveau et les hypermarchés. Côté destinations, la France confirme son lent décrochage. Plus inhabituel, le sévère coup d’arrêt enregistré par plusieurs grandes villes européennes: les ventes de guides pour Londres, Rome, Lisbonne ou Barcelone se sont effondrées. "De telles baisses résultent de la conjonction de plusieurs facteurs comme la fin des frais de roaming, mais aussi l’inquiétude d’une partie des voyageurs pour leur sécurité", analyse Frédérique Sarfati-Romano, directrice déléguée pôle illustré tourisme chez Lonely Planet. L’éditrice ne perd pas non plus de vue que "de plus en plus de gens se passent de guides pour leurs courts séjours en Europe". La désaffection relative pour les "valeurs sûres" est en partie compensée par l’émergence de destinations moins courantes (Budapest, Madrid, les îles méditerranéennes…), sans que cela suffise à maintenir la croissance. "Quand on voit les applis gratuites proposées par les offices du tourisme des grandes villes, pourquoi s’encombrer d’un guide ? interroge Jean-Paul Labourdette, cofondateur du Petit Futé. Les guides courts séjours ne sont pas promis à un grand avenir."

Refontes

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Tout n’est pas noir cependant. D’abord, les collections récemment refondues ont limité la casse, voire ont progressé, récompensant le travail de modernisation engagé par la plupart des acteurs. "Nous avons revu beaucoup de nos concepts ces dernières années. Cela nous a permis de rester dynamiques malgré le recul du marché", se félicite Nathalie Bloch-Pujo, directrice d’Hachette Tourisme. Passés au format poche début 2017, les guides "Un grand week-end" ont notamment connu "une belle croissance", selon l’éditrice. De la même manière, l’ajout d’un carnet photos dans les "Routard" il y a deux ans n’est sans doute pas étranger aux bonnes performances de la marque. "Nous bénéficions aussi de notre position de leader, juge le fondateur du Routard, Philippe Gloaguen. C’est en période de croissance que les lecteurs papillonnent. Les crises, elles, favorisent les leaders qui sont perçus comme des valeurs refuges."

Chez Gallimard, les "Cartoville" ayant bénéficié de la refonte de 2017 ont progressé alors que la collection dans son ensemble a davantage souffert. La série "Carto", relancée l’an dernier autour des îles méditerranéennes et de l’Atlantique Nord, accessibles par vol low-cost, a pour sa part trouvé son public et permis à l’éditeur de maintenir ses positions sur ces destinations. Il en va de même chez Michelin, où les "Guide vert. Week-end", rafraîchis l’an dernier, ont progressé de 6 % selon le directeur éditorial des guides, Philippe Orain. La grande collection "Le guide vert", qui a également fait l’objet d’une nouvelle formule début 2017, a certes reculé de 4,5 % en valeur selon l’éditeur, mais "les titres qui ont bénéficié de la refonte, avec plus d’illustrations, plus de cartographie et de photos ont progressé", affirme Philippe Orain, directeur éditorial. Avec un grand nombre de titres paraissant aux couleurs de la nouvelle formule en 2018, la marque au Bibendum affiche donc sa confiance. Le recrutement en juillet dernier de Frédéric Hosteins au poste de directeur business segment produits print devrait également améliorer les synergies entre les différents univers Michelin. "La complémentarité entre nos différentes gammes de produits - guides touristiques, gastronomiques, cartes - fait partie de nos axes de développement", confie l’intéressé, sans encore s’étendre sur les moyens qui seront mis en œuvre. Cela se traduira-t-il par le lancement d’une nouvelle collection à plus ou moins court terme? Frédéric Hosteins ne l’exclut pas.

Enfin, chez Ouest-France, la nouvelle version des "Guide secret" a permis à la collection de rester parmi les plus dynamiques de l’éditeur. Elle est alimentée cette année de 6 nouveautés, dont 2 titres transversaux dédiés aux abbayes et aux châteaux.

Approche plus sélective

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L’innovation joue donc pour beaucoup dans le maintien des ventes. Et justement, les éditeurs continuent d’innover. Gallimard a inauguré en septembre dernier la collection "Géoguide. Coups de cœur", avec un positionnement plus pratique et plus visuel qu’en "Géoguide", et revendiquant une forme de "complicité avec le voyageur". "Habituellement, nos guides adoptent un ton plutôt neutre, indique Line Karoubi, directrice générale de Gallimard Loisirs. Avec les coups de cœur, c’est l’inverse. Nos auteurs prennent parti et nous donnons la parole à des locaux qui adressent leurs recommandations. Les guides sont très incarnés et la dimension collaborative plaît beaucoup." Après une première vague de 10 titres, l’éditeur a renforcé la collection avec 10 autres nouveautés en février.

De la même manière cette année, le Petit Futé modernise les couvertures de sa petite collection "City trip". L’éditeur en profite pour intégrer des cartes détachables dans ses titres refondus, manière, selon Jean-Paul Labourdette, de répondre à la "très forte concurrence" du segment des guides week-end et court séjour. Plus significativement, le Petit Futé annonce pour septembre la refonte de sa collection historique "City guide France". "Nous changeons tout. Le format, la maquette, les contenus, et nous baissons le prix, confie Jean-Paul Labourdette. Il y aura une dimension quasi magazine, avec plus de visuels et une approche plus sélective." L’éditeur resserre sa sélection d’adresses et compte sur de bonnes mises en place chez les marchands de journaux. La trentaine de "City guide France" du fonds est concernée par la refonte.

De leur côté, les éditions Ouest-France inaugurent en avril la collection "Beaux villages et cités de charme" avec deux premiers titres, Bretagne et Normandie. "Ces ouvrages proposent une quinzaine de parcours itinérants reliant une soixantaine de villages avec, à chaque fois, des focus sur le patrimoine", explique Hervé Chirault, éditeur tourisme. Deux autres titres sont prévus en 2019. L’itinérance est une niche, mais une valeur sûre pour les éditeurs: Michelin dispose depuis longtemps à son catalogue de Belles routes de France : 52 propositions d’itinéraires, tandis que Route circulaire d’Islande, paru en juin dernier chez Lonely Planet, a "bien fonctionné", selon Frédérique Sarfati-Romano.

Chez Hachette, les innovations les plus récentes concernent surtout les "Guides bleus". Certains titres de la grande collection culturelle ont bénéficié d’une couverture modernisée; dans le même temps, la collection de petits ouvrages compacts "Les carnets des Guides bleus", centrée sur les grands sites et les monuments, a été lancée en avril 2017. "Elle démarre doucement, précise Nathalie Bloch-Pujo. Nous avons besoin de plus de titres pour être visibles en libraire, nous allons donc continuer à la développer."

A vélo

Lonely Planet poursuit le développement de ses guides familiaux. Après les collections "Partir en famille" et "Expliqué aux kids", l’éditeur lance deux guides de conversation anglais et espagnol destinés aux 8-12 ans. Le créneau de la jeunesse est également occupé par d’autres acteurs. Gallimard Loisirs renforce ses "Cartoville en famille" avec deux titres, dédiés à Lisbonne et à Madrid. Chez Michelin, le partenariat avec l’éditeur Quelle histoire se poursuit à travers la collection "Les petits explorateurs".

D’une manière générale, les créations de collections ont joué leur rôle de locomotive, même à une petite échelle. Chez Lonely Planet, les "Big trips", inaugurés en 2017, ont tenu leurs promesses, en particulier le titre dédié à l’Asie du Sud-Est, écoulé à plus de 7 000 exemplaires. "Les destinations monde sont celles qui souffrent le moins, c’est aussi là que nous sommes les plus attendus, explique Frédérique Sarfati-Romano. Nous sommes très contents de notre Iran paru en octobre et nous continuons d’investir dans de nouveaux guides cette année." Lonely Planet vient notamment de publier Ethiopie et Djibouti. Côté communication, l’éditeur a distribué un fascicule aux libraires pour présenter ses collections et expliquer à quel type d’usage elles correspondent.

Outre les albums d’inspiration (lire encadré), il est un autre petit segment en croissance: les guides de randonnée pédestre et cycliste. Le Routard ne s’y trompe pas et renforce son offre avec deux nouveaux titres dédiés au vélo. Aux éditions Ouest-France, la collection "Vélo guide" figure parmi les plus dynamiques du catalogue. Elle a été rajeunie en 2017. De son côté, Glénat dresse un bilan positif de son premier guide dédié aux vélos à assistance électrique (VAE). Le dirigeant de la maison, Jean-Paul Rousselet, annonce pour avril la parution d’un deuxième titre, cette fois consacré à la Route des Grandes Alpes.

Le tourisme en chiffres

Six stratégies ciblées

 

Face aux leaders du marché, les petits éditeurs de guides touristiques misent sur les niches pour s’installer. Tourisme durable (Viatao), citadin (Nomades), insolite et secret (Jonglez), haut de gamme (Louis Vuitton), culturel (Nanika), africain (Jaguar): chacun cherche à innover sur son créneau.

 

Viatao: les guides écolo passent à la vidéo

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Ardent promoteur du tourisme durable, Viatao a créé une collection de guides de voyage destinés aux touristes "écoconscients" désireux de se tourner vers les opérateurs locaux les plus responsables. En 2017, l’éditeur a renforcé son catalogue avec 6 nouveautés mais n’en publiera qu’une seule cette année: la Martinique. L’innovation du moment passe par le développement d’une activité vidéo. Viatao a par exemple commencé une série d’interviews avec Antoine de Maximy, le créateur de "J’irai dormir chez vous". "Le support papier est toujours essentiel pour informer les voyageurs des bonnes adresses écologiques et éthiques des destinations, explique la directrice générale, Ophélie Cohen. La vidéo est un support parfait pour inspirer les voyageurs et leur donner envie de partir. C’est donc un nouveau pan d’activité sur lequel nous travaillons, toujours pour promouvoir un tourisme original et durable, mais avant tout pour donner envie."

Louis Vuitton: à la conquête de la librairie

Les "City guide" de Louis Vuitton ont 20 ans, mais seulement cinq années de présence en librairie. Aujourd’hui encore, ils se vendent très majoritairement dans les 450 points de vente de la marque à travers le monde. "Nos guides sont très littéraires, très écrits, avec peu de photos et une orientation vers l’art de vivre et la mode, confie Julien Guerrier, directeur éditorial. Nous pensons qu’ils ont toute leur place en librairie, d’autant que d’autres éditeurs se sont mis à proposer des ouvrages abordant des thématiques voisines." En soutien des "City guide", l’éditeur a développé deux collections de beaux livres: "Travel book" en 2013 et une série d’albums photographiques en 2016. La diffusion-distribution est assurée par Harmonia Mundi. A noter que les "City guide" sont disponibles en français et en anglais aux formats papier et numérique; depuis fin 2015, l’ensemble du catalogue est aussi proposé en chinois en version numérique. Cette année, un nouveau "City guide", Madrid, est annoncé pour l’automne.

Jonglez: une nouvelle collection en partenariat avec My little Paris

Connues pour leurs guides "Insolite et secret" rédigés par l’habitant, les éditions Jonglez célèbrent leurs 15 ans avec une croissance de 13 % en 2017. De bons résultats qui s’expliquent, selon le fondateur de la maison, Thomas Jonglez, par le relookage complet des guides en 2016 et par une abondante activité éditoriale. Cette année, Jonglez poursuit son développement avec le lancement d’une collection de guides lifestyle réalisée en partenariat avec My little Paris. "Nous proposons une sélection très serrée d’adresses exceptionnelles. 30 ou 40 sont retenues, situées dans plus de mille lieux visités dans une ville, et chacune justifie à elle seule le voyage." Le premier titre de la collection, Soul of Tokyo : guide des expériences d’exception, est annoncé pour le 2 mai. Il sera suivi de titres consacrés à Venise, Lisbonne, Londres et Barcelone.

Nomades: les blogueurs en renfort

Incarnés et subjectifs sont sans doute les deux adjectifs qui définissent le mieux les guides Nomades. Fondée en 2010 par Florie Bodin et Lucille Pachot, la petite maison a fait le pari de guides écrits par l’habitant dans sa collection "L’essentiel". Les auteurs parlent de leurs adresses, livrent leurs impressions, font parler d’autres habitants. Cette incarnation identitaire "permet de légitimer un contenu qui n’est pas exhaustif et qui assume ce parti pris", décrypte Florie Bodin. Les partenariats avec les tour-opérateurs et autres professionnels du tourisme pèsent près de la moitié de l’activité. Ils sont indispensables, mais Nomades tient à rester visible en librairie. Quitte à tester de nouveaux formats. La publication fin 2015 de Go New York, par le blogueur Alex les bons plans, lui a offert son plus grand succès: plus de 10 000 exemplaires vendus. L’éditeur espère faire aussi bien, sinon mieux, avec Australie : nos 100 coups de cœur, paru le 13 mars et signé par les deux Français vainqueurs du concours Best job in the world, et depuis très populaires sur les réseaux sociaux.

Nanika: le pari culturel

Inutile de chercher des bons plans resto ou shopping dans les guides Nanika. Ce tout nouvel éditeur, qui publie en mars ses deux premiers titres sur la Corée du Sud et la Côte d’Ivoire, s’attache à l’esprit, voire à l’humeur d’un pays. Ses auteurs reviennent tous de séjours au long cours, ont eu le temps de s’imprégner de la culture locale et racontent leur expérience à la première personne du singulier. "Nous proposons des clés pour comprendre un pays à travers une expérience personnelle et donc subjective", résume Elise Ducamp, 25 ans, cofondatrice de Nanika et par ailleurs auteure du guide sur la Corée du Sud. Nanika, qui signifie "quelque chose" en japonais, s’autodiffuse et est distribué par Daudin. L’éditeur publiera deux nouveaux guides pour l’automne, dédiés à la Tunisie et au Mexique. Bali et la Suède sont annoncés pour le printemps 2019. Un titre sur le Japon devrait voir le jour en 2020.

Jaguar: l’Afrique au cœur

Propriété du groupe Jeune Afrique, les éditions du Jaguar publient depuis leur création en 1967 des guides à dominante culturelle, avec quelques informations pratiques pour les voyageurs d’affaires, nombreux dans cette partie du monde où le tourisme reste embryonnaire. L’éditeur réalise un tiers de ses ventes en France, le reste se partageant entre le Canada, la Suisse, la Belgique et les pays d’Afrique francophone. "Nous cherchons à renforcer notre présence en librairie mais la distribution est compliquée pour nous dans l’Hexagone, confie Danielle Ben Yahmed, vice-présidente du groupe Jeune Afrique. Nous aimerions monter des partenariats en direct avec quelques grandes librairies françaises pour bénéficier d’une meilleure exposition." Le Jaguar annonce comme nouveauté pour la fin de l’année un guide consacré à Agadir et sa région. Pour la première fois, l’ouvrage sera accompagné d’un clip promotionnel. "Nous partons du constat que les gens lisent de moins en moins, explique Danielle Ben Yahmed. La vidéo servira d’introduction au livre. Si elle séduit, elle donnera envie de lire le guide." Egalement pour la fin de l’année, l’éditeur prépare un guide consacré aux lieux de charme tunisiens.

Hachette toujours loin devant

Avec 33 titres présents, Hachette Tourisme confirme une fois encore son hégémonie sur notre classement GFK/Livres Hebdo des meilleures ventes de guides touristiques 2017. L’éditeur se paie même le luxe de placer son beau livre Voyages : tout un monde à explorer en 35e position. Michelin arrive au 2e rang avec 8 occurrences, devant Lonely Planet (5) et Gallimard Loisirs (4). La tête du classement se distingue par une remarquable stabilité avec un top 5 identique à celui de 2016. L’Europe du Sud (Portugal et Italie surtout) concentre toujours le meilleur des ventes, au détriment des destinations françaises: avec seulement 10 occurrences contre 12 l’an dernier, les guides hexagonaux poursuivent leur inexorable recul, devancés de très loin par les destinations européennes (32 titres). La progression la plus notable concerne Les îles grecques et Athènes : sans la Crète ni les îles Ioniennes (16e, Le Routard), qui gagne 15 places. L’engouement pour la Grèce se vérifie d’ailleurs avec l’entrée en 37e position de Grèce continentale : avec les îles Ioniennes, toujours au Routard. Côté monde, il faut aussi signaler le timide retour du Maroc (46e, Le Routard), loin derrière les classiques New York et Thaïlande (9e et 10e, également Le Routard). Cela faisait des années qu’on n’avait pas vu un pays du Maghreb figurer dans les meilleures ventes.

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