Dans l’un de ses premiers livres, Pour en finir avec Shéhérazade (Cérès éditions, Tunis, 2002), Fawzia Zouari expliquait pourquoi il lui semblait nécessaire de prendre ses distances avec la plus célèbre des conteuses orientales quand, comme elle, on voulait exprimer sa voix propre. Car parler en son nom est l’aspiration vitale de l’écrivaine franco-tunisienne. C’est dans cet esprit qu’elle a pris ces derniers jours publiquement la défense de l’Algérien Kamel Daoud montant au créneau dans Jeune Afrique, où elle travaille comme journaliste, puis dans une tribune dans Libération. Depuis vingt-cinq ans, elle intercale ainsi chroniques réactives et essais d’intervention entre des livres de fiction - elle a publié chez Ramsay dans les années 2000 plusieurs romans souvent inspirés de faits divers. "Mon troisième pays, c’est l’écriture. C’est ma seule maison, le lieu abrité à partir duquel je parle vraiment", déclare cette jeune sexagénaire spontanée.
Son cœur oscille entre les deux rives de la Méditerranée, entre la Tunisie rurale où elle est née et la France où elle vit, mariée depuis longtemps à un Alsacien avec qui elle a deux enfants. Elle est arrivée à Paris en 1979 comme étudiante pour un doctorat de lettres. La caravane des chimères (Orban, 1990), son premier roman, s’inspirait d’ailleurs de son sujet de thèse, l’artiste et femme de lettres Valentine de Saint-Point, arrière-petite-nièce de Lamartine, morte au Caire en 1953, "la Lawrence d’Arabie de la France". Une autre des grandes héroïnes de sa vie, la toute première, est l’extraordinaire personnage central de son dernier livre, Le corps de ma mère, un portrait dévoilé d’une femme de traditions et de rituels d’origine bédouine, décédée en 2007 à 92 ans.
Identité composite
En lisant ce récit très personnel dans lequel Fawzia Zouari a dû transgresser plusieurs tabous majeurs, dont l’interdiction culturelle d’écrire sur l’intimité, mais qui tient toutefois plus de la reconnaissance de dettes que du règlement de comptes familial, on comprend l’origine de la flamme déterminée et rebelle allumée très tôt chez cette avant-dernière fille d’une fratrie de neuf enfants, seule fille, avec sa sœur cadette, autorisée à poursuivre des études au collège quand les deux aînées étaient contraintes par leur mère d’abandonner l’école à 9 et à 13 ans pour vivre recluses en attendant le mariage. On saisit la conception de la liberté, le rejet viscéral de toute forme d’autorité abusive qui découlent d’un tel parcours.
Féministe, musulmane, arabe, occidentale, orientale…, Fawzia Zouari assume tous les héritages et son identité composite. Mais "les gens veulent toujours vous mettre d’un côté ou de l’autre", déplore celle qui n’a voulu brûler aucun de ses vaisseaux et remarque dans son récit : "Trente ans de France ne m’ont pas guérie du lyrisme atavique des miens." Elle voudrait ne plus avoir à diluer son énergie pour pouvoir se réfugier dans le seul bonheur de l’écriture littéraire. Et raconter toutes les histoires qui attendent d’être puisées des coffres à trésor de l’enfance. Puisque "tout part de là". Véronique Rossignol
Fawzia Zouari, Le corps de ma mère, Joëlle Losfeld. 20 euros, 232 p. Sortie le 24 mars. ISBN : 978-2-07-266977-4