Guillaume Allary est un éditeur "heureux" bien qu’"un peu fatigué". Pas tant à cause de la courte nuit qu’il a passée à suivre l’élection présidentielle américaine - ce gros bosseur n’en est plus à compter les heures de sommeil envolées - qu’en raison du succès de la maison qu’il a fondée. A 43 ans, sous ses airs de gendre idéal à mèche rebelle, l’ancien directeur de Nil, qui a débuté chez Flammarion et Hachette Littératures, a réussi à hisser en trois ans une petite structure indépendante et généraliste de cinq salariés à la 51e place du classement Livres Hebdo des 200 premiers éditeurs français. En 2015, Allary a réalisé un chiffre d’affaires de 5,3 millions d’euros, en hausse de 123 % par rapport à l’année précédente.
Maison d’auteurs
Les ventes du tome 3 de L’Arabe du futur de Riad Sattouf laissent présager un cru 2016 à la hauteur. "L’année s’annonce aussi bonne, voire meilleure, confirme l’éditeur, mais pas seulement grâce à ce titre, il y a aussi eu les réussites de Raphaël Glucksmann et Charles Pépin à la rentrée." Une précision qui n’est pas anodine. Guillaume Allary aime se présenter comme le directeur d’une "maison d’auteurs". Le quadragénaire maintient une production resserrée - 15 titres par an - afin de pouvoir consacrer à chacun de ses ouvrages, quel que soit son potentiel "bankable", le temps nécessaire à sa réussite.
C’est d’ailleurs cette "capacité à être attentif et exigeant avec tous ses auteurs qui fait de lui un véritable éditeur", estime Nicole Lattès, qui l’a rencontré en 2009 chez Nil, dont ils tenaient les rênes en binôme, avant qu’elle ne le rejoigne dès les débuts de l’aventure Allary.
Avec sa "super marraine", et malgré la différence de génération, Guillaume Allary partage un certain flair et le goût de l’engagement pour ses auteurs. "Si je n’avais pas été aussi persuadé de la valeur du projet de Riad, que j’avais déjà édité chez Hachette Littératures dans les années 2000, j’aurais pu lâcher et ça aurait été bête", sourit l’éditeur, faisant référence aux "douze années de tergiversation" qui ont précédé la naissance du premier tome de L’Arabe du futur.
"Je fonctionne à l’intuitu personae depuis toujours, créant des liens très forts, notamment avec mes auteurs qui sont aussi devenus des amis." Ce père de deux jeunes enfants est le parrain de la fille de Charles Pépin. Il assume ne pas très bien savoir quand il travaille ou non, et trouve "normal" de répondre à n’importe quelle heure aux SMS de Riad Sattouf - "même quand j’ai des idées pourries, il élude gentiment", précise l’intéressé.
S’il est décrit par ses auteurs comme brillant, attentif, engagé, prévenant, sa passion et son obsession de mener un livre à la perfection sont parfois éprouvantes. "Il est exigeant parfois jusqu’à l’insupportable, vraiment !" s’exclame Charles Pépin. Selon lui, le "manque de pincettes" de Guillaume Allary tient au fait qu’il n’est "pas du tout écrivain", contrairement à de nombreux autres éditeurs. "Il ne peut donc pas se mettre à ma place." Riad Sattouf loue cependant sa patience avec les auteurs : "Il accepte complètement mon côté insupportable. Seul Guillaume a pu me donner ce dont j’ai besoin et pourtant, croyez-moi, je suis très casse-pieds."
"Enthousiastes"
La fidélité qu’il a suscité et sa manière de travailler ont bien servi Guillaume Allary lorsque, au printemps 2013, il décide de quitter la direction littéraire de Nil pour prendre son envol. Charles Pépin, Ollivier Pourriol, Riad Sattouf, Alexandre des Isnards, notamment, le suivent, "enthousiastes", tandis que Nicole Lattès amènera trois mois plus tard dans ses valises Bernard Pivot et Matthieu Ricard. "Après, précise l’éditeur, il me manquait une chose importante : l’argent."
Son frère, Frédéric, fondateur du Parisien Magazine, l’aide à préparer un business plan et lui présente Jean-Daniel Camus, énarque et entrepreneur qui investit 250 000 euros. Afin d’atteindre 550 000 euros, somme qu’il s’est fixée pour "pouvoir tenir confortablement sans succès pendant deux ans", il émiette son actionnariat avec l’appui d’une quinzaine de proches. Certains de ses auteurs ont eux-mêmes "des petites parts symboliques". Majoritaire au capital de la maison, il insiste sur l’indépendance totale d’Allary. "Il n’y a pas un euro qui vienne du monde de l’édition, ni d’un distributeur ou d’un libraire."
Une visée humaniste
Opiniâtre, élevé par des parents travaillant dans les assurances et la formation, Guillaume Allary ne fait pas partie du sérail de l’édition. Si, après des études de philosophie et d’économie, qui l’ont notamment mené à être journaliste littéraire pour Elle, il se retrouve éditeur extérieur chez Flammarion à 26 ans, c’est au culot. Avec, déjà, la conviction que le premier texte de son ami d’enfance Charles Pépin, Descente (1999), devait être publié. Pour que le manuscrit ait une chance d’être lu, "nous nous sommes introduits un peu par effraction, raconte-t-il, dans les bureaux d’éditeurs de Flammarion et de Grasset pour le déposer".
Le long du chemin qui l’a mené ensuite chez Hachette Littératures, grâce à son ancienne présidente Isabelle Seguin qui lui octroie dès 2003 "une liberté totale", ou chez Nil en 2009, Guillaume Allary a continué de développer son goût pour les livres à "impacts sociaux positifs". Il s’anime à l’évocation de l’édition de Kiffe kiffe demain, de Faïza Guène, ou à celle de L’open space m’a tuer, d’Alexandre des Isnards.
Chez Allary, malgré la diversité de la ligne éditoriale (bande dessinée, fiction, non-fiction), tous les ouvrages publiés ont un point commun : une "visée humaniste" même s’il ne la met pas en avant. Alors que Guillaume Allary semblait accueillir avec philosophie l’élection toute fraîche de Donald Trump, son ton se fait cassant lorsqu’il évoque la "responsabilité des éditeurs" d’un Eric Zemmour ou d’un Philippe de Villiers. "Ils ont longtemps cru qu’on pouvait impunément gagner de l’argent avec ces ouvrages haineux, alors qu’il y a des conséquences." L’éditeur ne sait pas encore de quelle façon, et sous quel titre, mais il s’engagera "dans ce combat contre le populisme".