Entretien

Hélène David : "Il faut réinventer la notion de librairie"

Hélène David, ministre de la Culture et des Communications du Québec. - Photo Olivier Dion

Hélène David : "Il faut réinventer la notion de librairie"

A Paris fin mai pour la réception de Dany Laferrière à l’Académie française, la ministre de la Culture du Québec commente pour Livres Hebdo les mesures clés du Plan d’action sur le livre qu’elle a dévoilé le 24 avril, et évoque les inquiétudes des libraires après le rachat d’Archambault par Renaud-Bray.

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Par Marine Durand
avec Créé le 08.06.2015 à 15h32

Hélène David - C’est une immense fierté pour le Québec, mais il ne faut pas oublier qu’il est né en Haïti ! Au même titre par exemple que l’écrivaine d’origine vietnamienne Kim Thúy ou que le metteur en scène libanais Wajdi Mouawad, Dany Laferrière a cette formidable capacité à décliner l’identité québécoise. Le monde du livre québécois a besoin d’auteurs de cette envergure, capables de susciter des vocations, de pousser les Québécois vers la lecture, vers l’écriture, auxquelles je suis très attachée.

Ce plan d’action doté de 12,7 millions de dollars sur deux ans est le résultat d’une année complète de consultations avec toute la chaîne du livre québécois. Denis Vaugeois, ex-ministre de la Culture et "père" de la fameuse loi 51 qui régit depuis 1981 le monde du livre, a d’ailleurs été largement associé aux discussions. Nous sommes repartis de zéro en prévenant que l’hypothèse d’une loi sur le prix unique du livre, préconisée par le Parti québécois, ne serait pas retenue, car elle aurait limité l’accessibilité des livres à une certaine clientèle. Au Québec, on trouve de grands hypermarchés proposant aussi bien de l’alimentaire que du prêt-à-porter et des produits culturels, parmi lesquels des livres. Il s’agit bien souvent de best-sellers proposés à des prix largement inférieurs à ceux des librairies indépendantes. Il est nécessaire de conserver cette offre bon marché, en espérant donner aux gens le goût de la lecture et les amener ensuite vers la librairie indépendante. Je crois que l’accueil favorable que nous avons reçu de la part des associations d’éditeurs, d’auteurs et de libraires, comme de journaux tels que Le Devoir, habituellement sévères avec le Parti libéral du Québec, montre que nous avons relevé le défi.

Le premier axe vise à améliorer la mise en réseau des 184 librairies agréées, qui représentent quand même 51 % des ventes de livres au Québec. Il s’agit à la fois de mettre à leur disposition des outils techniques et de favoriser les projets collectifs. Je veux mettre en valeur certaines initiatives déjà existantes comme les tournées d’auteurs et encourager la création de nouveaux projets. La librairie Olivieri, à Montréal, organise par exemple de nombreux débats intellectuels ayant toujours beaucoup de succès. Aujourd’hui, je crois qu’il faut réinventer la notion de librairie, en mettant l’accent notamment sur les activités à destination des enfants. Il faut habituer les parents à l’intérêt de la lecture pour les enfants, qu’ils encouragent leur appétit pour l’imaginaire, d’autant que nous avons au Québec de très bons auteurs de livres pour la jeunesse et de bandes dessinées.

Le deuxième axe de notre plan consiste à accentuer la promotion des librairies québécoises. Des campagnes nationales ont déjà été menées pour promouvoir le porc québécois ou le lait québécois, pourquoi ne pas faire la même chose pour le livre ? Le portail commercial Leslibraires.ca, qui fédère les 95 librairies de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (LIQ), est encore trop peu connu par nos concitoyens, alors qu’il permet d’acheter en ligne des livres en format papier et numérique tout en restant fidèle à sa librairie locale. J’aimerais que tous les Québécois aient le réflexe d’aller sur ce site plutôt que sur Amazon.

Le plan a été conçu sur deux ans, car je refuse de figer les choses. Le marché du livre, comme celui du disque, est en pleine mutation, et bien malin qui pourrait prévoir son avenir. Il est primordial de rester souple pour s’ajuster au fur et à mesure, en particulier à l’évolution du livre numérique. Pour l’instant, les ventes sont encore modestes malgré les projections des économistes. En revanche, les chiffres des prêts numériques sont stupéfiants : nous avons dépassé à la fin de l’année dernière le million d’ebooks empruntés depuis janvier 2012 sur la plateforme Pretnumerique.ca, qui met en réseau les bibliothèques publiques du Québec. Le plan prévoit d’ailleurs 2 millions de dollars supplémentaires pour que les bibliothèques puissent acheter plus de livres dans les deux formats, et dans un rayon limité, pour là encore protéger les librairies nationales.

J’entends évidemment l’inquiétude des libraires, portée par l’Association des libraires du Québec (ALQ), mais Blaise Renaud, le P-DG de Renaud Bray, a promis qu’il allait garder les deux groupes dans leur état actuel. Il vient d’ailleurs de régler son différend avec le diffuseur Dimedia ; je pense que cela va dans le bon sens. Il est vrai que le nombre de magasins du groupe passerait de 30 à 44 succursales, mais en face de cela il reste tout de même 184 librairies certifiées au Québec. Je laisse désormais au Bureau de la concurrence la décision d’avaliser ou non cette transaction.

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