La ville autrement. Dans La ville en éclats, l'écrivain Jean-Christophe Bailly élabore une magnifique mise en abyme du lecteur passant, qui se promène dans le tissu urbain comme il se balade dans ce texte éclaté en onze fragments composés entre 2014 et 2022. « Malgré cette histoire plurimillénaire au sein de laquelle les formes se succèdent, se combattent et s'enchevêtrent, quelque chose - ou quelqu'un - qu'on appelle la ville continue d'exister, à la fois comme un fait d'expérience et comme une survivance. » Proche d'Éric Hazan, grand éditeur disparu en juin dernier, Jean-Christophe Bailly lui dédie ce livre construit « sur un effet labyrinthe propre à la ville et sur une tension vers une dimension utopique engagée par cet effet ». Ce que propose l'auteur, d'une manière aussi poétique et philosophique que dans ses nombreux précédents ouvrages, c'est de combattre les décisions politiques d'urbanisme qui voudraient imposer une vision et un parcours stricts dans la ville, et une révision de l'histoire pensée par les puissants. Se réapproprier la ville comme passant, l'habiter dans sa complexité, c'est faire l'effort, toujours, de penser ses passages, ses monuments, ses zones avec une distance critique qui permette de la comprendre comme un ensemble au-delà des prouesses individuelles des architectes qui l'ont bâtie. « Chaque passant lit à sa manière le texte de la ville. »
C'est bien la notion de ville-monade - « banlieues comprises » -, dont la conception est bâtie par opposition à la campagne depuis les trois derniers siècles, que cet ouvrage prend pour point de départ. Fidèle à ses inspirations fondatrices incarnées notamment par Charles Baudelaire et Victor Hugo, le poète et écrivain déplie sa réflexion autour de la marche, de la flânerie dans le tissu urbain. Ainsi le lecteur peut-il retraverser, revisiter ces espaces au gré de la forme utopique qui a inspiré le développement urbain.Dans le chapitre consacré au démantèlement du camp de Roms de Ris-Orangis, l'écrivain décrit la manière dont « derrière le discours de la sécurité et de l'hygiène, par-delà les fantasmes de risques d'incendie, de contamination, ce qui soutient le propos et lui donne consistance, ce qui anime en profondeur la volonté de destruction, c'est la haine, non pas du communautarisme, mais de la reformation communautaire, c'est le déni de sa légitimité ». Jean-Christophe Bailly démontre ainsi comment les espaces urbains construits au fil des siècles reflètent des intentions et des volontés politiques qui vont à l'encontre des idéaux inclusifs (le vivre-ensemble) et utopistes des villes telles qu'elles ont d'abord été imaginées. À cela, il oppose les pouvoirs de l'imagination et de la littérature qui dessinent d'autres visions de la ville idéale dans laquelle nous pourrions « vivre autrement ».
La ville en éclats
la Fabrique
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 13 € ; 184 p.
ISBN: 9782358722896