Avec le Baromètre des prêts réalisé par le Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la Communication, en partenariat avec Livres Hebdo, la France se dote pour la première fois d’un outil offrant une photographie à l’échelle nationale des livres empruntés et achetés en bibliothèque. Testé en 2015 (1), il est déployé cette année, dans une perspective annuelle. L’édition 2016, dont la version intégrale est accessible sur le site du ministère de la Culture (2), porte sur un échantillon représentatif élargi de 142 bibliothèques du territoire et leurs statistiques pour 2015. Mine précieuse de renseignements sur la vie des livres dans les établissements de lecture publique français, cette enquête met en lumière la grande diversité des fonds des bibliothèques, ainsi que celle des goûts littéraires de leurs usagers.
Le premier constat qui s’impose est en effet la forte dispersion des achats et des emprunts sur un nombre important de références. Les 7,4 millions de prêts enregistrés en 2015 dans les bibliothèques de l’échantillon portent sur 460 505 ISBN différents. Si on retrouve dans les différents palmarès par catégories les best-sellers, comme Le charme discret de l’intestin pour les documentaires, et les auteurs vedettes incontournables tels Guillaume Musso et Françoise Bourdin, les 10 titres les plus empruntés ne représentent que 0,3 % des prêts et 0,8 % des acquisitions. Quant à elles, les 10 000 premières références du classement général représentent moins de la moitié du total des emprunts et des achats.
Poids de la jeunesse
Les emprunts sont relativement bien équilibrés sur les quatre catégories du baromètre. Le poids important du secteur jeunesse peut s’expliquer par la forte présence de ce public, qui représente près de 40 % des inscrits en bibliothèque, et par le fait que ces ouvrages se lisent rapidement, favorisant un taux de rotation élevé. Si l’on ne prend en compte que les 10 000 titres les plus empruntés, la part de la fiction adulte et plus encore celle de la bande dessinée prennent, assez logiquement, une place plus importante, occupent respectivement 27 et 35 % du total. Les documentaires pour adultes, eux, ne représentent plus que 1 % de l’ensemble.
La répartition des acquisitions par secteurs se révèle cohérente avec celle des emprunts. L’examen des 10 000 œuvres les plus achetées par les bibliothèques de l’échantillon montre encore un poids accru de la fiction pour adultes, qui passe de 26 à 33 %, et de la bande dessinée qui passe de 17 à 20 %. Les 10 titres les plus achetés, représentant 2 750 acquisitions sur 328 500 au total, sont quant à eux tous des romans pour adultes, correspondant à ceux les plus demandés en bibliothèque. Il s’agit des nouveautés de la rentrée littéraire, des lauréats des prix d’automne ou des dernières publications des auteurs à succès.
Politique de fonds
L’analyse des dates de parution des livres les plus empruntés met en lumière la politique de fonds des établissements. L’année moyenne de publication des livres de fiction et des documentaires pour adultes est 2010, celle des bandes dessinées et des livres jeunesse est 2007. La part des nouveautés (éditées en 2014 ou 2015) se révèle relativement faible. C’est dans les domaines de la fiction adulte et, très logiquement, du documentaire, qu’elles sont le plus présentes parmi les prêts, à 33 % dans les deux cas. Les prêts de littérature jeunesse et de bande dessinée sont moins connectés à l’actualité éditoriale. Sur l’ensemble des emprunts, 47 % des livres jeunesse et 43 % des bandes dessinées tout public ont été édités entre 2000 et 2009.
Les acquisitions, elles, sont bien sûr beaucoup plus en lien avec l’actualité éditoriale. Les ouvrages publiés en 2015 constituent 68 % des achats en fiction adulte et 54 % dans le secteur des documentaires pour adultes. Pour la bande dessinée et la jeunesse, la part des nouveautés baisse sensiblement, s’établissant respectivement à 36 % et à 35 %.
(1) Voir "Les 50 livres les plus empruntés", LH 1034, du 20.3.2015, p. 52-55. (2) http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Livre-et-Lecture.
Les auteurs jeunesse, champions toutes catégories
Fiction adulte : les poids lourds en tête
En toute logique, le palmarès des fictions pour adultes les plus empruntées dans les bibliothèques est dominé par les auteurs de best-sellers tels que Guillaume Musso ou Katherine Pancol. C’est cependant David Foenkinos qui rafle la première place avec Charlotte. Parmi les 50 titres les plus empruntés l’an dernier, seuls 8 ont été publiés en 2015. Cet "effet retard" s’explique par le décalage entre la date de parution et celle de mise en place sur les rayonnages, même si les bibliothèques ont fait beaucoup d’efforts pour réduire ce délai.
Effet longue traîne et effet auteur
Il existe aussi un effet de "longue traîne" propre aux bibliothèques, à la différence des ventes en librairie, concentrées sur les nouveautés. On remarque également un "effet auteur" : plus des deux tiers des écrivains présents dans le tableau des 50 ouvrages les plus empruntés le sont avec plusieurs titres. Cela s’explique par l’envie de découvrir les écrits plus anciens d’un auteur dont on a aimé le dernier livre, mais aussi par une stratégie pour gérer la rareté : les lecteurs ont tendance à se replier sur les ouvrages antérieurs quand la dernière publication, très demandée, n’est pas disponible. Les acquisitions, elles, portent dans leur quasi-totalité sur les parutions de l’année et recoupent largement, au moins dans sa première partie, le tableau des prêts, signe de leur adéquation avec les envies des lecteurs.
Le commentaire : Fabienne Faure, médiathèque de Tréfilerie, Saint-Etienne
"Nos meilleurs prêts sont semblables à ceux du baromètre. A Tréfilerie, le public est très consommateur de nouveautés. A part pour quelques auteurs comme Camilla Läckberg dont le succès est constant, les prêts sont concentrés sur la première année après la parution. Les acquisitions sont réparties sur l’ensemble du réseau. Pour les best-sellers, on prend 1 ou 2 exemplaires par établissement, plus 2 autres pour le rayon Best-sellers de la médiathèque centrale. Pour les autres, on surveille les réservations. Au-delà de 4 pour un même exemplaire, on se pose la question de racheter. On acquiert aussi les lauréats des prix littéraires dès l’annonce des résultats."
Documentaires : des goûts éclectiques
La catégorie des documentaires rassemble des publications de nature très hétérogène, des livres de cuisine aux essais, en passant par les ouvrages scientifiques et les guides de voyage. Le palmarès 2015 des prêts reflète cette diversité avec, en tête, Manderley for ever, la biographie romancée de Tatiana de Rosnay consacrée à Daphné Du Maurier, mais aussi Cette nuit, la mer est noire de Florence Arthaud, à la 7e place, ou Mémoires de Beate et Serge Klarsfeld, au 25e rang. Le classement compte 13 références parues en 2015, mais aussi certaines, très anciennes, comme les indétrônables Cakes de Sophie, qui datent de 2000.
Acquisitions moins concentrées
Côté acquisitions, on note, comme pour la fiction, une forte adéquation avec le palmarès des prêts, où apparaissent en bonne place les 10 titres les plus achetés par les bibliothécaires. Véritable phénomène, Le charme discret de l’intestin, numéro 1 des ventes en librairie, est aussi à la 1re place des titres les plus achetés par les bibliothèques et à la 3e place des titres les plus empruntés. Les acquisitions sont cependant beaucoup moins concentrées sur les parutions de l’année que celles des romans, 38 références seulement datant de 2015. La dispersion des acquisitions est aussi plus forte que pour la fiction : 90 % des titres les plus achetés l’ont en fait été faiblement, la plupart des références du palmarès étant présentes dans moins d’un tiers des bibliothèques de l’échantillon.
Le commentaire : Christophe Lerenard, médiathèque du Pavillon blanc, Colomiers
"Chez nous aussi, Le charme discret de l’intestin est toujours emprunté. Les intestins sont d’ailleurs devenus une obsession pour les lecteurs. Quand je sens une forte demande pour un thème, j’achète d’autres livres sur le même sujet afin de diversifier les points de vue. Nos collections sont organisées en pôles thématiques. Les acquisitions se font selon une logique d’ensemble car on ne doublonne pas les achats. Dans mon secteur, certains titres sont au carrefour des sciences et des questions de société. On a décidé de mettre les BD documentaires, qui ont le vent en poupe, dans le rayon BD, car en sciences et techniques, elles n’étaient pas assez visibles."
BD et mangas : pour l’amour des séries
Le classement des 50 premiers prêts de BD et mangas est resserré autour d’une dizaine d’auteurs. Ce phénomène est clairement lié à "l’effet série". Les lecteurs sont fidèles aux personnages, dont certains ont été créés il y a de nombreuses années. La richesse et la profondeur des collections permettent aussi aux usagers d’emprunter plusieurs titres d’une série, de relire les plus anciens à la faveur de la parution d’un nouvel opus. Le classement compte ainsi 16 des 18 tomes de la série Les Légendaires de Patrick Sobral chez Delcourt. La série des Sisters de Christophe Cazenove chez Bamboo place 8 titres, et Lou ! de Julien Neel chez Glénat en compte 6.
Aucun titre de 2015
Comme pour les livres jeunesse, aucun titre du palmarès des prêts n’a été publié en 2015, et nombre d’entre eux ont plus de 5 ans. Il est à remarquer que le classement est dominé par des ouvrages destinés au jeune public. Les acquisitions, en revanche, ne portent que sur des références très récentes : 31 ont été publiées en 2015, 13 en 2014, et 6 en 2013. On y remarque un nombre significatif de titres pour les adultes, comme L’Arabe du futur, vol. 2, de Riad Sattouf chez Allary, à la 3e place, les volumes 2 et 3 des Vieux fourneaux de Paul Cauuet et Wilfrid Lupano chez Dargaud, qui se placent aux 10e et 11e rangs, ou Le chat du rabbin, vol. 6, de Joann Sfar, aussi chez Dargaud, à la 18e place. 17 des 50 titres les plus achetés figurent au palmarès GFK/Livres Hebdo des meilleures ventes de livres.
Le commentaire : Maryline Sutter, réseau des médiathèques municipales du Mans
"Je suis surprise qu’il n’y ait aucune bande dessinée pour les adultes dans le palmarès des prêts. Chez nous, les deux volumes de L’Arabe du futur totalisent le plus grand nombre de réservations en ce moment. J’envisage de les avoir en deux exemplaires. Les lecteurs de BD empruntent beaucoup. Au Mans, la librairie Bulle, avec laquelle nous travaillons, a contribué à créer un réseau important de lecteurs. Pour les acquisitions, nous mettons l’éclairage sur des thématiques, comme cette année les BD issues des blogs. La BD pour adultes se diversifie beaucoup avec l’apparition de la BD de reportage, notamment."
Jeunesse : des succès intemporels
Le classement des livres jeunesse les plus empruntés étant dominé de manière écrasante par les Max et Lili (46 titres sur 50), nous avons choisi d’en publier une version sans cette collection. Il est à noter que cette série aux résultats exceptionnels (128 000 prêts en 2015 dans les bibliothèques de l’échantillon) est absente du classement des 25 livres jeunesse illustrés les plus vendus en librairie. Le constat le plus frappant, concernant le palmarès, est la déconnexion entre la liste des 50 meilleurs prêts et l’actualité éditoriale. Aucun des titres au palmarès n’a été publié en 2015, un seul est daté de 2014, et 3 de 2013.
Succès des grands classiques
Au contraire, le succès de grands classiques ne se dément pas, comme Les trois brigands de Tomi Ungerer, paru en 1979 à L’Ecole des loisirs, et qui occupe la 11e place. Il existe cependant une certaine correspondance entre les meilleurs prêts et les meilleures ventes en librairie telles qu’elles ressortent du palmarès Livres Hebdo/GFK. La première place des prêts est occupée par Nos étoiles contraires de John Green chez Nathan Jeunesse, numéro 4 des meilleures ventes. Le célébrissime Harry Potter à l’école des sorciers est à la 3e place à la fois dans le classement des prêts et dans celui des meilleures ventes. Les acquisitions, elles, comptent 16 références publiées en 2015 et 21 publiées en 2014. Elles reflètent la diversité de l’activité éditoriale pour la jeunesse.
Le commentaire : Hélène Boyer, médiathèque La Corderie, Marcq-en-Barœul
"Les statistiques confortent mes observations. Max et Lili est l’une des trois séries phares avec Tom-Tom et Nana et La cabane magique. Leur succès est dû à leur format, proche de la BD, et à leur faible nombre de pages, qui favorise un taux de rotation élevé. Les adaptations au cinéma ont un effet immédiat sur les prêts. J’ai eu 6 demandes pour Les malheurs de Sophie, alors que les livres de la comtesse de Ségur ne sortaient plus. Pour les acquisitions, il y a les classiques, mais j’essaie aussi de repérer des auteurs hors sentiers battus. En ce moment, les jeunes se passionnent pour les romans historiques, avec des rois et des princesses."