3 janvier > Premier roman France > Manuel Benguigui

Dès sa jeunesse, le Bavarois Ludwig a été "absorbé par l’art". Non point à l’origine pour posséder des œuvres, seulement pour les voir, les disséquer de son œil averti, absolu. Vétéran de la guerre de 14, capitaine, il est rappelé sous les drapeaux en 1938. Il est envoyé à Paris, qu’il avait visité entre les deux guerres, le Louvre surtout, pour travailler au Kunstschutz, le service de l’art, puis à l’ERR, division spéciale chargée de rafler le maximum d’œuvres, à destination du futur musée de Linz, voulu par le Führer en personne (projet avorté), ou bien du château de Carinhall, résidence délirante du Feldmarschall Goering, le plus grand prédateur du Reich, personnage grotesque et fellinien. Tout l’opposé de Ludwig, froid, mesuré, discret, volontiers moqueur. Personne ne le connaît vraiment, ne sait ce qui régit sa vie, cette passion dévorante pour les œuvres d’art (même "dégénéré"). Surtout pas son collègue Helmut, un boucher, un fanatique furieux qui se fera tuer, à la Libération de Paris, sur les toits du musée du Jeu de paume, siège de l’ERR, envers et contre tous.

Ludwig, lui, n’est pas nazi. Il méprise et déteste Goering, repoussant toutes ses amabilités, ses tentatives de copinage, et réussissant même à lui subtiliser quelques merveilles. Il a vite su que la guerre était perdue pour l’Allemagne. Surtout depuis qu’il fréquente Lucette, une "petite souris" française qui établit scrupuleusement la liste de toutes les œuvres spoliées, notamment des Juifs, et travaille pour la Résistance. Personnage inspiré d’une femme authentique. Elle n’est pas loin de retourner celui qu’elle appelle "mon petit Lu", avec qui se crée une ébauche d’amour. Mais Lucette est arrêtée et fusillée par la Gestapo. Lui, devenu entre-temps collectionneur, voire trafiquant, ayant enfin admis le rapport étroit entre l’art et l’argent, comprend qu’il est temps, pour sauver sa peau, de disparaître. Il finira sa vie dans la Creuse, en châtelain grognon, écœuré de tout, même - qui l’eût cru ? - de ses chefs-d’œuvre.

Manuel Benguigui, qui travaille lui-même dans une galerie d’art, signe ici un premier roman atypique, glacé (sauf quand on y ridiculise Goering), porté par une écriture "à blanc", compacte, sans dialogues. Ludwig est presque un ectoplasme, lequel s’humanise seulement, un temps, grâce à Lucette, "la Florentine" trop tôt disparue. J.-C. P.

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