Lucette Destouches s’était jusqu'alors toujours opposée à la réédition de ces écrits. En 2001, elle expliquait à Véronique Robert dans Céline secret (Grasset) : «J’ai interdit leur réédition et, sans relâche, intenté des procès à tous ceux qui, pour des raisons plus ou moins avouables, les ont clandestinement fait paraître, en France comme à l’étranger.»
"Le fléau de l'antisémitisme"
Mais, à 105 ans, Lucette Destouches aurait changé d’avis. La publication en 2012 au Québec des Écrits polémiques de Céline (éditions 8) incluant ces trois pamphlets avec un appareil critique de Régis Tettamanzi aurait fait évoluer sa position. Au Canada, une œuvre entre dans le domaine public 50 ans après la mort de l’artiste, et non 70 ans après comme en France. Pour Céline, décédé en 1961, ce sera donc le cas en 2031.
La perspective de cette réédition a inquiété les services du Premier ministre. Frédéric Pottier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), a écrit le 12 décembre à Antoine Gallimard pour demander des «garanties» : «Dans un contexte où le fléau de l'antisémitisme doit être plus que jamais combattu avec force, les modalités de mise à disposition du grand public de ces écrits doivent être réfléchies avec soin. La qualité de l'appareil critique qui les accompagne et, notamment, sa capacité à éclairer le contexte historique et idéologique de leur production, ainsi que le décryptage des biais de l'auteur et des erreurs factuelles contenues sont dès lors déterminants».
"Redoutable tâche"
Dans la foulée, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) indiquait avoir «appris avec stupeur que Gallimard projetait de rééditer au printemps 2018 les trois pamphlets racistes, antisémites et prohitlériens de Céline». De son côté, dans un entretien à L’Obs à l'occasion de l'exposition "Beate et Serge Klarsfeld, les combats de la mémoire" au Mémorial de la Shoah, Serge Klarsfeld «réclame l’interdiction de la réédition des pamphlets antisémites de Céline». Le président de l’association des Fils et Filles de déportées de France précise : «Je compte faire tout ce qui est en mon possible pour l’empêcher. Nous avons des lois qui nous permettent de réprimer les propos antisémites. Je les utiliserai.»
Dans un entretien publié sur le site du Crif, Pierre-André Taguieff, qui a publié avec Annick Duraffour une somme d’un millier de pages sur le sujet (Céline, la race, le juif, Fayard, 2017) ne voit pas d’inconvénients à la réédition encadrée de ces textes : «Il n’y a rien à objecter, à mon sens, au projet d’une édition critique et historique des pamphlets céliniens, dès lors que celle-ci présente toutes les garanties d’un travail scientifique effectué par des spécialistes des divers domaines requis pour cette redoutable tâche.»