Plaine Commune : l’énergie du vivre-ensemble
Le travail exemplaire mené tous azimuts depuis dix ans par le réseau des médiathèques de Plaine Commune, déjà récompensé par le prix de l’Animation en 2012, a forcé l’admiration des jurés. Cette communauté d’agglomération rassemblant 9 communes et 408 000 habitants s’est engagée depuis 2004 dans le développement d’une politique de lecture publique très ambitieuse. Sur ce territoire fortement urbanisé, marqué par les difficultés économiques et sociales et où 29 % de la population est d’origine étrangère, le réseau des 25 bibliothèques a été pensé comme un levier social, un outil du vivre-ensemble.
Les jurés ont été particulièrement impressionnés par les actions menées en direction des publics non francophones : traduction des supports de communication des bibliothèques dans les langues les plus pratiquées sur le territoire (tamoul, chinois, arabe, portugais), ateliers de conversation en français et sessions d’aide administrative dans la langue d’origine. "Toutes ces initiatives trouvent le juste équilibre entre la reconnaissance des langues et des cultures d’origine et la valorisation de la langue du pays hôte", souligne Assumpta Bailac, directrice du réseau des bibliothèques de Barcelone.
En 2015, le réseau a lancé son projet permanent "Do it yourself", qui fait des bibliothèques des lieux d’expérimentation et de partage des savoir-faire. Au programme : ateliers écologiques, réalisation de smoothies et de salades à partir de fruits issus du rebut, création d’un jardin partagé, le tout pour sensibiliser aux enjeux du développement durable. Le grand prix récompense également l’important programme de construction mené depuis 2004, et en particulier l’ouverture cette année de la médiathèque Aimé-Césaire à La Courneuve, dans l’ancienne usine Mécano entièrement réhabilitée par le cabinet d’architectes bordelais Flint.
Ce qu’en pense le jury
"L’énergie déployée par le réseau de Plaine Commune pour faire en sorte que la culture soit un espace d’échange et d’intégration est remarquable, s’est enthousiasmé David Foenkinos, président du jury du grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques 2015. C’est autour des livres qu’on peut vivre ensemble. Pour attirer des populations souvent délaissées, ces structures ont des livres aussi bien en chinois qu’en tamoul et proposent une aide juridique. Pour les enfants, c’est magnifique de voir tout ce qui est proposé, des ateliers vidéo aux expériences culinaires. Je suis profondément admiratif du travail fourni par ces équipes. Et bien sûr, dans le contexte actuel, leur énergie est plus que jamais vitale à mes yeux."
Médiathèque Estaminet à Grenay : comme à la maison
Le jury s’est montré unanimement enthousiaste pour le dossier de la médiathèque Estaminet, ouverte en juin dernier à Grenay. Cette commune de 6 900 habitants près de Béthune (Pas-de-Calais), l’une des plus pauvres de France, a fait de l’accueil le pivot central de son nouvel équipement. On vient à l’Estaminet, qui rassemble tous les services liés à la petite enfance et à la jeunesse (PMI, accueil des centres de loisirs, Point information jeunesse, mission locale) pour faire une démarche administrative, s’installer avec un magazine dans l’espace presse ou en terrasse, faire une partie de babyfoot, écouter la musique diffusée sur les bancs sonores du jardin, ou encore, grande originalité du lieu, boire une bonne bière pression au bar dans le hall de la bibliothèque.
"Il faut du courage pour faire une bibliothèque de cette qualité dans un endroit où la culture ne va pas de soi", souligne Pascal Vandenberghe, P-DG de Payot Libraire en Suisse. Pour y parvenir, les élus et l’équipe ont pris des options fortes : gratuité totale pour tout le monde, y compris les non-Grenaysiens, 44 heures d’ouverture hebdomadaire - ce qui correspond à la moyenne nationale pour les villes de plus de 100 000 habitants -, une grande cuisine au cœur de la bibliothèque pour organiser des ateliers, une salle de spectacle, une équipe mutualisant différents profils (bibliothécaires, animateurs, personnels administratifs). "L’objectif premier est de permettre à tous, quels que soient l’âge, l’origine sociale ou géographique, de franchir les portes de la bibliothèque, de s’y sentir bien et d’y revenir, revendique l’équipe de l’Estaminet. Accueillir, c’est recevoir tout le monde avec simplicité et chaleur, pour que chacun se sente comme à la maison." Le livre et l’écrit ne sont pas pour autant délaissés. Avec un budget annuel de 40 000 euros pour les acquisitions, soit 5,80 euros par habitant, la bibliothèque est là encore bien au-dessus des normes nationales. Le programme d’animation est à la mesure des objectifs dévolus au projet. "Je suis très sensible à l’importante politique développée en direction des enfants", indique Hélène Wadowski, directrice du département jeunesse de Flammarion et présidente du groupe jeunesse du SNE.
Ce qu’en pense le jury
"Cette bibliothèque est remarquable par la mutualisation des services, l’amplitude des horaires d’ouverture, souligne Laurent Pagès, directeur des médiathèques communautaires d’Aire-sur-l’Adour, grand prix des Bibliothèques 2014. Chacun vient pour une raison différente et y trouve sa place. J’ai également beaucoup aimé le bar, signe de convivialité, ainsi que les visites de chantier qui ont permis d’embarquer les habitants dans cette aventure avant l’ouverture."
Des usagers-acteurs à Saint-Médard-en-Jalles
Faire des usagers des acteurs et non des consommateurs de culture "passifs", c’est l’objectif des Imaginaires de Saint-Médard-en-Jalles (Gironde), l’événement annuel organisé depuis 2010 par le réseau des médiathèques municipales. Le jury a été séduit par l’animation de 2015 consacrée au polar. Le public devait se mettre dans la peau d’un commissaire pour résoudre une enquête grandeur nature dans toute la ville, dont l’originalité était de s’inspirer d’un fait réel jamais élucidé : le braquage de la poste de Saint-Médard-en-Jalles en 1918 par des soldats en side-cars. "L’intérêt de cette animation est d’exporter la bibliothèque dans toute la ville et de mobiliser tout le monde", relève Hélène Wadowski, directrice de Flammarion Jeunesse et membre du jury.
Le 18 avril, 110 apprentis enquêteurs, enfants et adultes, s’étaient lancés dans l’aventure, parcourant la ville pendant tout l’après-midi, leur carnet de route à la main, à la recherche des énigmes à résoudre. A chaque étape, des acteurs amateurs mettaient en scène des épisodes du "casse", tandis que les participants devaient se prononcer sur les suspects à éliminer, pour finir par découvrir le vrai coupable. Une occasion pour les participants de redécouvrir l’histoire et le patrimoine de leur ville à travers un récit conçu par les bibliothécaires.
"Ce projet avait notamment pour objectif de montrer la dynamique du réseau par un parcours symbolique depuis la médiathèque centrale ouverte en 2002 jusqu’à la toute récente ludo-médiathèque située trois kilomètres plus loin, explique l’équipe de la médiathèque. Nous voulions montrer l’identité du réseau ainsi que la complémentarité des services, et renouveler l’image des bibliothèques."
L’enquête s’inscrivait dans un vaste programme d’animations, dont une nuit du jeu, une rencontre avec l’écrivaine Patricia MacDonald, une exposition interactive à la frontière entre littérature, bande dessinée et jeu vidéo intitulée "Qui a refroidi Lemaure ?", ainsi qu’une autre dédiée au jeune public, "Le détective sort ses griffes", proposant d’apprendre les bases du métier de détective en 8 épisodes.
Environ 2 500 personnes ont participé à l’édition 2015 des Imaginaires.
Ce qu’en pense le jury
"Cette initiative crée un lien entre le jeu et la bibliothèque, qui est très intéressant et qui permet une implication des utilisateurs, commente Assumpta Bailac, directrice du réseau des bibliothèques de Barcelone. C’est très astucieux d’avoir relié cette animation à un fait d’actualité."
Bourg-la-Reine : l’effacement des limites
A Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), la belle architecture imaginée par Pascale Guédot pour la nouvelle médiathèque François-Villon, ouverte en janvier, joue sur la transparence et l’ouverture. Le décloisonnement des 1 780 m2, organisés en deux plateaux, ménage perspectives et points de vue d’un étage sur l’autre, et favorise une appréhension immédiate du lieu, tandis que les grandes façades de verre en font un équipement largement tourné vers l’extérieur. Des choix symboliques revendiqués, destinés à abolir les barrières entre usages et usagers, à désacraliser le lieu et à inviter les visiteurs à circuler librement. "L’effacement des limites permet d’apprécier la totalité des locaux dans une lecture verticale des volumes intérieurs qui abolit la notion de niveaux, explique Cyrille Lemaitre, directeur de la médiathèque François-Villon. Cet effacement fait le double pari d’étonner le visiteur et de renforcer son attachement à ce lieu majestueux."
Si Claude Poissenot a trouvé les espaces un peu froids, la plupart des jurés ont adhéré à cet aménagement intérieur très aéré et d’une grande qualité esthétique, qui propose des ambiances différenciées. Malgré les grands volumes ouverts, l’atmosphère y est conviviale grâce au mobilier de chêne clair et aux couleurs vives des sièges. Le visiteur a le choix entre différentes postures d’assise : assise classique sur des chaises, relâchée dans les grands poufs, cosy dans les canapés du coin "flirt" où l’on peut visionner des films, et même carrément allongée par terre sur de grands tapis.
Le bâtiment, organisé autour d’un noyer centenaire précieusement préservé pendant toute la durée du chantier, entretient un lien particulier avec la nature, incarnée dans le jardin intérieur où l’on peut venir se prélasser aux beaux jours. C’est également un bâtiment vertueux, qui a suivi plusieurs objectifs de la démarche Haute qualité environnementale (HQE) : système de géothermie qui permet de chauffer et de climatiser avec une énergie propre et renouvelable, récupération des eaux de pluie qui sert à l’arrosage et au nettoyage.
Ce qu’en pense le jury
"C’est une architecture très ouverte, apprécie Gilles Gudin de Vallerin, directeur du réseau des médiathèques de Montpellier Méditerranée Métropole. Ce qui frappe, c’est le décloisonnement des espaces qui traduit le décloisonnement des publics et des usages. Il y a aussi une recherche sur le mobilier qui propose différents types de confort et d’assise, ainsi que sur le lien entre l’intérieur et l’extérieur, entre le bâtiment et le jardin. Tout cela procure un sentiment de bien-être".
Paris, BU Pierre-et-Marie-Curie : la pédagogie du jeu
"Murder party", "serious games", dés géants, Lego : pour former ses quelque 5 000 usagers à la recherche documentaire et leur transmettre les compétences informationnelles indispensables pour leurs études et leurs travaux de recherche, le pôle formation de la bibliothèque de l’université Pierre-et-Marie-Curie (BUPMC), sur le campus de Jussieu à Paris, a élaboré un programme très innovant basé sur le jeu sous toutes ses formes. "Les étudiants actuels sont des "digital natives", souligne Myriam Gorsse, responsable du pôle formation des usagers de la BUPMC. Pour autant, ils n’ont pas tous les réflexes indispensables au traitement de la masse d’informations à laquelle ils ont accès. Nous les accompagnons dans l’appropriation progressive de ces réflexes, et en premier lieu la confrontation et la vérification des sources."
Depuis deux ans, la bibliothèque organise, pendant la "welcome week" de l’université dédiée à l’accueil des nouveaux étudiants, une "murder party". Fruit d’un partenariat entre le pôle formation, les services de la vie étudiante et la direction de la culture de l’université ainsi que la Ligue universitaire d’improvisation théâtrale, cette animation, organisée dans les locaux de la bibliothèque, est l’occasion pour les participants de découvrir le lieu, de s’initier à la recherche dans les ressources de la bibliothèques, et de se familiariser avec des notions essentielles telles que la propriété intellectuelle. Le pôle formation s’adresse également aux enseignants, notamment avec la création des "services-conseils" qui proposent une offre à la carte, et favorise les échanges entre différentes communautés professionnelles.
En juin dernier, la "serious game jam" a rassemblé pendant deux jours des enseignants, des étudiants, des personnels administratifs, des game designers issus du monde du jeu vidéo et des bibliothécaires pour plancher sur la création de jeux autour des sciences de l’information.
Ce qu’en pense le jury
"Le pôle formation de la BU de Jussieu a bien compris que pour faire connaître aux étudiants l’étendue des ressources et des services de la bibliothèque, il fallait prendre des chemins détournés, et il a su le traduire dans son action, souligne le sociologue Claude Poissenot. Cela passe par l’instauration d’une relation personnalisée avec les étudiants, comme c’est le cas dans le recours au jeu. L’innovation, c’est aussi d’impliquer les étudiants et les enseignants dans l’élaboration de "serious games". Ce prix couronne non seulement des résultats, mais aussi une démarche exemplaire dans la relation aux usagers."
8 coups de chapeau du jury
Les initiatives repérées et appréciées par le jury parmi les dossiers de candidature.
Un nombre record de candidatures
Avec un total de 100 dossiers émanant de 55 établissements et réseaux différents, la 6e édition du grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques a battu ses records. 21 établissements ont concouru dans la catégorie Accueil, 29 dans la catégorie Animation, 22 pour l’Espace intérieur et 28 pour l’Innovation. Une abondance qui n’a en rien nui à la qualité des dossiers, tous excellents. Les participants, qu’ils s’agissent de grands réseaux ou de petits établissements, de bibliothèques universitaires ou territoriales, ont démontré cette fois encore la grande vitalité de la lecture publique en France, l’attention toujours plus forte portée à la qualité de l’accueil et à la prise en compte des besoins des usagers. Plus que jamais, la bibliothèque est le lieu du vivre-ensemble et ambitionne de s’adresser aux usagers réguliers mais aussi à tous les non-inscrits grâce à une grande diversité de services et de propositions.
Dans les affres
Le jury a également souligné la qualité grandissante de la présentation des dossiers, qui ont recours à tous les supports : photos, vidéos, liens Internet, blogs. Il a été très sensible au soin et au souci d’originalité dont plusieurs bibliothèques ont fait preuve dans l’élaboration de leur lettre de candidature, avec une mention spéciale à celle de la médiathèque Phileas-Fogg de Saint-Aubin-du-Pavail, rédigée entièrement sous forme de bande dessinée.
Lors de la délibération, devoir retenir seulement cinq candidatures parmi tant d’aussi bons dossiers a souvent plongé les jurés dans les affres du doute et a donné lieu à des discussions passionnées, quoique toujours joyeuses, orchestrées de main de maître par le président de cette année, David Foenkinos. Seul regret : le faible nombre de candidatures en provenance du monde francophone, qui conduit cette année à un palmarès entièrement français.