Marie, la première narratrice mise en scène ici par Nathacha Appanah, a 26 ans lorsque débute le roman. Infirmière, elle tombe amoureuse de son collègue Chamsidine, un "grand Noir" mahorais, qu’elle suit dans son île de Mayotte, "eldorado" français en plein archipel des Comores, victime d’une vague d’immigration clandestine massive. Comme elle ne peut pas avoir d’enfant, le mari la trompe, part faire sa vie ailleurs. Ils finiront par divorcer. Marie, par un hasard miraculeux, parvient à adopter un petit Comorien, arrivé sur une plage. Elle l’appelle Moïse. Chamsidine reconnaît le bébé, qu’elle élève seule, et qui devient un adolescent sans problème apparent. Si ce n’est qu’il a les yeux vairons (comme David Bowie), et qu’à Mayotte, c’est considéré comme une malédiction, envoyée par les djinns.
Que l’on y croie ou pas, après que sa mère lui a dit la vérité sur ses origines, Moïse part en vrille. Rejette son statut de "Blanc" et se met à fréquenter des voyous. Bruce, surtout, le caïd de Gaza, le bidonville local. Marie morte d’une attaque, Moïse (devenu Mo) s’enfuit et rejoint "l’armée" de Bruce, qu’il défie et vainc dans une joute de mourengué, la lutte rituelle des Mahorais. Il le paiera cher : viol de Moïse, cambriolage et saccage du bureau de Stéphane, responsable d’une association locale et ami du garçon, représailles. Tout un engrenage fatal dont il ne se tirera pas, même après s’être fait justice lui-même.
Pour son sixième roman, la Mauricienne Nathacha Appanah, qui semble écrire d’expérience, a choisi le thriller social, la peinture d’un coin de France dans l’océan Indien oublié de la métropole, sauf lorsqu’il menace de s’embraser, ce qui est le cas actuellement. A travers les maux de sa jeunesse, elle montre la déscolarisation, le chômage, la misère, la disparition de tous les repères, la tension entre Noirs et Blancs, la lutte de la tradition animiste contre la globalisation occidentale dans ce qu’elle a de pire.
Dans Tropique de la violence, cinq narrateurs parlent - Marie, Moïse, Bruce, Stéphane et Olivier, le vieux policier qui essaie de faire échapper le garçon au lynchage par les hommes de Bruce -, y compris post mortem, comme Marie et Bruce. Ils racontent leur version de l’histoire, et leurs voix se succèdent et se répondent, comme dans une tragédie antique. Ce beau et puissant roman, d’ailleurs, en est une. Moderne. J.-C. P.
Nathacha Appanah publie en même temps un Petit éloge des fantômes en "Folio 2 euros".