Les pharaons se faisaient ensevelir dans de monumentaux mausolées avec des objets personnels pour leur séjour dans l’au-delà. Plus modestes, les fantasy coffins, "cercueils de fantaisie", populaires dans l’ethnie Ga du Ghana, n’en sont pas moins des œuvres d’art. La sépulture devient sculpture qui reflète le statut et les aspirations du défunt. Le cercueil du père de Jacob, 11 ans, a la forme d’une fève de cacao en référence aux plantations dans lesquelles feu le paternel d’un des protagonistes du premier roman de Guillaume Poix, Les fils conducteurs, a travaillé toute une vie trop tôt abrégée. Avalé par l’ombre de sa mère, le garçon n’est pas vraiment visible sur le cliché pris et montré au musée d’Art et d’Histoire de Genève dans le cadre de l’exposition "L’art funéraire ghanéen : mystères, splendeurs et trivialités". C’est la mère de Thomas qui a eu l’idée de cette visite, comme le jeune photographe plasticien helvético-français s’apprêtait à faire un reportage en Afrique de l’Ouest. Et Thomas de s’embarquer sur un cargo pour Accra, au Ghana. Par la magie du récit (Guillaume Poix est maître en fondus enchaînés et glissements spatio-temporels), le lecteur arrive plus tôt à destination, à Agbogbloshie, en banlieue de la capitale ghanéenne. Agbogbloshie : la gigantesque décharge à ciel ouvert, montagne d’immondices surnommée "la bosse", où viennent s’échouer les vieux téléviseurs, ordinateurs en panne, mobiles périmés et autres macchabées du high-tech occidental : "T’as tout le cimetière numérique de la planète ici, expliquera-t-on au photographe, t’as tout l’obsolète qui se trouve un coin pour s’aplatir sous les coups de poing des mômes qui le fouillent." Forcés à l’exode rural, Jacob et sa mère se retrouvent à Agbogbloshie, elle à vendre des pochettes d’eau potable, lui à "pucher" dans les ordures. Avec deux autres garçons à peine plus âgés, Moïse et Isaac, qui lui apprennent les arcanes du métier, "Job" démantèle les vieilles carcasses, dépiaute les fils électriques pour en récupérer "l’âme" - le cuivre -, revend leurs moissons de rebuts à l’obèse brocanteur Daddy Jubilee. La bosse est le noir théâtre du trafic et de la prostitution.
Pour cette odyssée au pays des ordures, Guillaume Poix tresse deux destins aux antipodes - celui d’un photographe engagé qui souhaite dénoncer par ses images la catastrophe écologique au large du golfe de Guinée, et celui d’un Gavroche ghanéen aux prises avec un environnement à l’"atmosphère saturée de carbone et de plomb". L’art peut-il rédimer l’immonde ? Pas sûr. Mais l’écrivain et dramaturge, né en 1986 (il est notamment l’auteur de la pièce Waste dont l’action se passe aussi à Agbogbloshie), par la force d’un verbe inventif, mêlant énergie argotique et beauté lyrique, a réussi à transformer l’ordure en bijou littéraire. Sa décharge est électrique. Sean J. Rose