Charlie Hebdo

Le mercredi 7 janvier 2015 est un mercredi noir. Il est l’occasion, atroce, de rappeler que le droit canonique et le droit musulman sanctionnent toujours le blasphème.

Le blasphème, qu’il se traduise par un livre, un article de presse ou un dessin, n’est plus réprimé devant les juridictions laïques françaises, malgré des décisions de justice isolées qui ont affaissé la jurisprudence républicaine.

Pendant longtemps, les magistrats retenaient habituellement pour critère la conformité ou non des images litigieuses à l’iconographie religieuse traditionnelle : la représentation de la crucifixion – de Larry Flint à INRI – est ainsi devenue un premier enjeu judiciaire, digne de l’époque où l’écrivain Fernando Arrabal était condamné par le régime franquiste pour avoir outragé le Christ. Le détournement de la Cène, depuis la publicité Volkswagen jusqu’à celle de Marité et François Girbaud, est devenu un nouveau sujet de colère divine.

« L’affaire Larry Flint » avait d’ailleurs été l’occasion, en février 1997, d’une étonnante mise en abîme : les demandes d’interdiction visaient l’affiche d’un film de Milos Forman qui relatait lui-même les démêlés d’un éditeur de revues pornographiques avec la censure…“Compte tenu de l’état actuel de l’évolution sociale”, le Tribunal n’avait cependant pas vu dans l’affiche litigieuse un “outrage flagrant aux sentiments religieux des requérants”.

En pratique, les juridictions accueillent plus facilement les actions contre les éléments visibles par le plus grand nombre : les affiches de films, les publicités sont particulièrement visées, tout comme… les couvertures de livres.

En 1995, des intégristes avaient même sévi judiciairement contre une couverture (de magazine) qui titrait “Pourquoi Dieu n’aime pas les femmes”. La discrétion serait donc de rigueur : l’affaire Rushdie a permis au tribunal de grande instance de Paris, en 1989, de débouter les plaignants, notamment au motif que “personne ne se trouve contraint de lire un livre”… Il en a été jugé presque de même en septembre 2002 en faveur de Michel Houellebecq, puis, en 2007, dans l’affaire dite des caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo.

La véritable nouveauté de ces dernières années était sans conteste la constitution d’entités juridiques dans le seul dessein d’agir sur le terrain du droit et non plus de la seule réprobation morale. Dès 1977, l’association pour la conscience de Krishna a agi en France, en vain, contre un film pornographique mettant en scène un de ses adeptes.

Mais, le 14 septembre 2000, la Cour de cassation revenait sur la décision de la cour d’appel de Paris rendue le 10 novembre 1998 au profit d’Albin Michel, éditeur d’INRI de Bettina Rheims et poursuivi par une association.

En 2005, c’est désormais l’épiscopat lui-même, via une association ad hoc, qui retrouve ses mauvaises habitudes, fustigeant la représentation de la Cène incarnée par des femmes et la présence d’un corps masculin assez chastement dénudé.

Les attaques contre Ave Maria de Jean-Luc Godard en 1984 (entraînant le retrait de l’affiche du film), La Dernière Tentation du Christ en 1988 (aboutissant à l’ajout d’un avertissement en début de film) avaient déjà attesté de cette vigueur retrouvée qui a, heureusement, trouvé une certaine limite en justice. Les activistes religieux déboutés dans les affaires Houellebecq, Fallaci et Charlie Hebdo n’en ont pas moins attisé la haine et l’imbécilité qui ont conduit à ce mercredi noir.
08.01 2015

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