26 octobre > Récit France > Thomas A. Ravier

On a connu Thomas A. Ravier il y a quinze ans, faisant entrer le rappeur Booba dans la NRF, lui qui vénère par ailleurs Thelonious Monk et la soprano baroque Agnès Mellon. On ne l’avait pas revu depuis Fantasque (Michel de Maule, 2012), on le retrouve accueilli dans la collection "Haute enfance" avec un récit jouissif à la nostalgie offensive et occasionnellement rancunière, à la mélancolie aussi lyrique que narquoise.

L’origine de ce texte aux couleurs plus vif-argent que sépia est l’arrachement que représente la vente d’une maison familiale sur la côte varoise. A 46 ans, le romancier et essayiste parisien est déchu de son royaume méridional, chassé du paradis. Une trahison. Car la villa Leï Fatigas (Les fatigués), bâtie dans les années 1920 sur une colline avec vue sur le golfe du Lavandou et acquise par ses grands-parents maternels en 1967, n’est pas seulement l’espace clos de l’enfance, le temps estival d’une maison de vacances. Base de repli entre plusieurs séjours à l’étranger, théâtre de révélations sensorielles, lieu d’écriture de certains de ses livres, "laboratoire érotique", "salle de concert favorite"…, cette maison toujours ouverte, ce jardin méditerranéen où il installait adolescent un matelas dissimulé au pied de la restanque, où a poussé un pin "planté avec la graine d’un numéro de Pif Gadget", traversent et incarnent tous les âges de sa vie. Sur Les hautes collines, c’est bien sûr l’éducation sentimentale. Les apprentissages d’un Casanova bronzé et en tongs. Odile, Catherine, Anne, Salomé, Lisa, Emma… jusqu’à Solveig, la mère de Miranda, sa fille au prénom shakespearien, sont les esprits féminins qui hantent un jardin dont il est devenu tardivement le "gardien insouciant mais farouche". A tel point que la taille assassine d’un cèdre en 2011 pour dégager la vue de la terrasse lui arrachera des larmes et devra aux coupables (oncle et tante) un mail vengeur.

La gloire des Fatigués tient à ses habitants, membres d’une famille pas banale : les parents toujours désignés par leur prénom, Annie dont l’écrivain porte le nom et Roland, marin. Le grand-père, avec qui son petit-fils entretiendra jusqu’à sa mort en 2005 une relation houleuse, et surtout la grand-mère Paulette, "le personnage principal de cette maison" dont la disparition en 2014, à 94 ans, scellera le sort de la villa. Paulette et sa double vie, changeant pendant cinquante ans de rôle en fonction de la géographie et des saisons - Parisienne en hiver, Provençale en été -, Paulette vendeuse de soutiens-gorge au Lavandou après la guerre. Paulette, ses tomates farcies et sa collection complète de Elle. Paulette en folle des taches, "teinturière de guérilla" à qui Thomas A. Ravier offre le meilleur de sa sentimentalité caustique. Mais on ne se souvient pas non plus avoir lu un compliment aussi brillamment troussé au mistral, son "idole", "infusant dans l’atmosphère, après l’été sa gaieté bleue, l’hiver sa colère noire". "En somme, le mistral m’a apporté l’affreux rire de l’idiot […] Je suis comme lui : un fada. Il me donne une de ses gifles d’air ? Je tends l’autre joue, ravi." Ce "vent dionysiaque" souffle son énergie furieuse dans ces pages qui célèbrent avec panache les funérailles du plus insaisissable des génies, celui des lieux. Véronique Rossignol

Les dernières
actualités