avant-portrait

Classiquement, c’est l’une des premières questions qui viennent à l’esprit lorsque l’on rencontre Négar Djavadi : que partage cette calme et souriante brune de 46 ans avec Kimiâ, la Désorientale, la narratrice de son premier roman, monologue échevelé où saga familiale croise récit intimiste tout en parcourant, de la fin du XIXe siècle aux années 1970, l’histoire de l’Iran, leur pays natal commun ? "J’ai pris le canevas de la grande Histoire et mis mes personnages à l’intérieur", explique la romancière qui concède que fiction et autobiographie ont été tissées serré pour trouver la voix de cette fille d’intellectuels, opposants politiques sous le régime du shah et exilés en France au début des années 1980, engagée dans une procédure de procréation médicalement assistée dans un Paris très contemporain.

Comme son héroïne, Négar Djavadi, qui a fui l’Iran il y a trente-sept ans avec sa mère et sa sœur, à cheval à travers les montagnes du Kurdistan, n’y est jamais retournée. Mais ce qui rapproche peut-être le plus la romancière de la rock’n’roll girl qu’elle a imaginée est la volonté de ne pas être assignée à une seule identité. De se tenir dans un ailleurs d’où elle peut observer, commenter, éventuellement critiquer.

Une fresque politique

Elle, qui parle le persan mais constate qu’elle "ne pense plus du tout" dans sa langue maternelle, écrit dans ce français qui était une des marques de distinction de l’élite dans le Téhéran de son enfance. Elle se souvient qu’elle a jeté les cent premières pages de son manuscrit avant de l’envoyer par la poste à Liana Levi. Puis a élagué encore le texte "trop foisonnant" pour trouver un rythme, et l’équilibre qu’elle cherchait entre comédie et tragédie. "Je voulais qu’il y ait à la fois le côté épique des romans orientaux, cette manière persane, digressive de raconter des histoires qui ouvrent sur d’autres histoires et d’autres histoires encore mais, même si je n’écris pas d’autofiction, j’admire aussi beaucoup ce côté intimiste des écrivains français, cette façon qu’ils ont de placer la langue en avant de l’histoire", commente cette inconditionnelle de Virginia Woolf.

Si la fresque est ample, politique, elle est aussi musicale et cinématographique, les deux amours de cette scénariste qui vient de l’image et a placé en exergue du roman les paroles d’une chanson de PJ Harvey. Diplômée de l’Insas (la Femis bruxelloise), elle a débuté comme monteuse puis a été assistante caméra avant de se diriger vers le scénario. Elle a réalisé plusieurs courts-métrages, montés en Belgique où elle a vécu cinq ans, et deux pièces de théâtre. Aujourd’hui, elle écrit pour la télévision. Désorientale s’est glissé, entre 4 h 30 et 7 h 30 du matin, dans la vie de cette mère de deux garçons. Et dans cette écriture plus débridée, moins contrainte, elle a adoré le goût de la liberté.

Véronique Rossignol

Négar Djavadi, Désorientale, Liana Levi. Prix : 22 euros, 320 p. Sortie : 25 août. ISBN : 978-2-86746-834-6

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