Livres Hebdo - Somogy fête ses 75 ans. Pour l’occasion, vous êtes allés retrouver et archiver tout ce qui avait été publié. Comment se fait-il qu’une maison au catalogue d’art si patrimonial ne se soit jamais penchée sur son histoire ?
Nicolas Neumann - Ce sont les cordonniers les plus mal chaussés ! Nous avons tellement été pris dans la production éditoriale que nous n’avons jamais eu le recul nécessaire pour raconter notre histoire. D’ailleurs, Somogy ne s’est pas toujours intéressé au patrimoine et n’a pas toujours édité avec les musées des livres d’art. Jusqu’à l’après-guerre, le catalogue était centré sur le texte politique. L’histoire de Somogy recueillie de la bouche d’Aimery Somogy, que j’ai côtoyé pendant une dizaine d’années, est celle d’un Juif hongrois, réfugié depuis les années 1920 en France, et qui décide de devenir éditeur pour dénoncer la folie d’Hitler. Il publie fin 1937 ou début 1938 Hitler m’a dit, un témoignage d’Hermann Rauschning. L’ouvrage se vendra à plus de 100 000 exemplaires. Il publiera aussi Spartacus d’Arthur Koestler. Il aurait dû éditer Le zéro et l’infini dont il avait les droits, mais Koestler, pensant qu’il était mort pendant la guerre, avait confié son manuscrit à un autre éditeur. En découvrant qu’il était toujours en vie, Koestler lui donne en dédommagement Spartacus, qui se vend à 50 000 exemplaires.
Pourquoi Aimery Somogy prend-il un tout autre virage éditorial à partir de la fin des années 1940 ?
Germanophone, il était très lié avec un petit éditeur qui faisait des bibles en Allemagne et qui avait découvert après la guerre, aux Etats-Unis, les clubs de livres pour les soldats. Il souhaite lancer les clubs en Allemagne et demande à Aimery Somogy de lui trouver des livres d’art. Il s’agissait de Reinhard Mohn [le patriarche de Bertelsmann, NDLR] et Somogy a été pendant des années le fournisseur de Bertelsmann en livres d’art pour le club. Cet extraordinaire succès du groupe à l’époque a permis à Somogy d’entrer dans le monde de l’édition internationale. L’éditeur allemand lui achetait des dizaines de milliers d’exemplaires et, du coup, il pouvait aller voir Thames & Hudson ou Phaidon en leur proposant un tirage à des prix de production très intéressants. Il ne publiait que 5 à 10 titres par an, mais avec des tirages et réimpressions colossaux. Trésors de l’impressionnisme au Louvre de Germain Bazin représente, toutes éditions confondues, plus d’un million d’exemplaires. Somogy est l’un des pionniers en France des grandes coproductions internationales.
Somogy est surtout connu comme éditeur de catalogues de musées. Quand est-ce que cette activité a commencé ?
C’est moi qui ai débuté les partenariats avec les musées en 1992. J’avais passé un an chez Somogy en 1982 quand j’avais 19 ans, avant de travailler sept ans chez Pauvert. En 1989, Aimery Somogy me propose de revenir. J’avais un réel tropisme pour l’art, ma mère travaillant à Orsay, mon beau-père étant peintre. J’ai travaillé à ses côtés jusqu’à sa mort en 1991, à 94 ans. Il n’avait pas vraiment d’héritiers et, se croyant indestructible, il n’avait pris aucune disposition. J’ai racheté la maison. Quand j’ai regardé les titres que je voulais publier, j’ai vite fait mes comptes et vu que les ventes potentielles ne couvriraient pas les coûts de production des livres dont je rêvais. Au même moment, le Centre Pompidou m’approche, via la BPI, pour faire un ouvrage sur le dessin d’humour. Je fais les mêmes calculs, mais là ça marchait, grâce à la fréquentation du musée. La bibliothèque Forney me contacte ensuite pour développer un partenariat et je me retrouve à démarcher les musées à une période où il n’y avait que la RMN et qu’elle ne pouvait pas absorber toute la production. J’ai bientôt été submergé de commandes et j’ai eu besoin de nouvelles compétences. J’ai fait entrer des partenaires dans Somogy. Nicolas Philippe, qui m’a apporté une équipe, une expertise financière, puis Louise Blouin, qui a racheté la société en 2005 et a apporté une nouvelle dimension internationale, m’adossant à LTB, un groupe très puissant.
Que fait ce groupe ?
Louise Blouin est le premier groupe mondial en termes de presse artistique. Il possède Art & Auction aux Etats-Unis ainsi que les sites Artinfo dans une dizaine de pays. Désormais, nous allons proposer la possibilité d’avoir, quand le sujet s’y prête, un relais de nos productions sur les sites Artinfo.
Le marché du catalogue s’est transformé ces dix dernières années avec la multiplication des acteurs.
Effectivement, nous avons de la concurrence. Lorsque j’ai commencé, on me trouvait courageux, car les conservateurs étaient réputés difficiles et les catalogues invendables, puis on m’a accusé de céder à la facilité en éditant des livres qui n’en étaient pas puisque je n’en avais pas eu l’idée. Tout cela a bien changé et les catalogues remplissent la plus grande part du rayon art parce que les éditeurs aujourd’hui sont le plus souvent dans l’impossibilité de financer des livres aussi fouillés sans l’appui des musées. Avant, Somogy faisait de la coproduction internationale, maintenant nous faisons de la coproduction nationale. Et les coproductions internationales renaissent du fait de l’itinérance des expositions.
Le catalogue a changé dans sa forme et son contenu.
Les conservateurs ont beaucoup évolué dans leur façon de penser les expositions. Ils se sont ouverts à des contributions extérieures faisant appel à des écrivains, des chercheurs d’autres disciplines. Les catalogues deviennent des sommes non seulement d’iconographies mais de contributions. Nous vendons aussi de plus en plus dans le circuit de la librairie. Traditionnellement, 60 % des ventes se faisaient sur place et 40 % en librairie. Aujourd’hui, nous arrivons à égalité. La vente en librairie est indispensable pour équilibrer nos comptes et conforter le musée dans son choix de partenaires. Parmi tous nos concurrents, on a vu arriver des partenaires qui sont des imprimeurs, d’où leur facilité à baisser les coûts de fabrication, avec un semblant de diffusion. Beaucoup de musées ont déchanté.
Quelles sont les meilleures ventes de la maison ?
Les succès de la maison sont liés aux partenariats avec le Louvre comme Sainte Russie, qui a fait plus de 12 000 exemplaires cumulés en librairie, ou Rembrandt dessinateur qui s’est vendu à 10 000 exemplaires.
Cela suffit-il à équilibrer les comptes ? Aimery Somogy faisait à peine dix livres par an, vous, dix fois plus. Est-ce votre réponse ?
Cela reste rentable, mais on se doit d’être inventif. Le chiffre d’affaires tourne autour de 3,5 millions d’euros. Les tirages deviennent de plus en plus étroits, mais les marges sont à peu près les mêmes car les coûts de production se sont resserrés. Avec 80 titres par an, ça s’équilibre d’un livre à l’autre. Et puis, cela me permet de travailler avec de bons imprimeurs et graveurs en négociant à l’année les tarifs. Nous avons ainsi gagné en qualité d’impression et de maquette, ce qui nous confirme dans notre choix de rester un éditeur entièrement dédié à l’art et aux musées. <