Entretien

Olivier Bétourné : le Seuil des années 2020

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Olivier Bétourné : le Seuil des années 2020

Le Seuil doit s’adapter à de nouvelles conditions de diffusion-distribution après la reprise de Volumen par Interforum. Pour développer l’entreprise, son président réorganise sa direction en s’appuyant sur une équipe de jeunes directeurs de départements éditoriaux.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 26.02.2016 à 01h00 ,
Mis à jour le 26.02.2016 à 10h37

Depuis la reprise du Seuil par La Martinière en 2004, aucun dirigeant n’avait tenu aussi longtemps qu’Olivier Bétourné à la tête de cette maison où il a fait son retour en janvier 2010. Il y avait effectué le début de sa carrière, avant de passer chez Fayard, puis Albin Michel. Il trace aujourd’hui les contours du "Seuil des années 2020", nommant une équipe de directeurs éditoriaux qui ont fait leurs preuves avant de décrocher leur titre, et se préparant au défi de tenir l’équilibre de la maison avec une diffusion-distribution bien plus coûteuse depuis que La Martinière a vendu sa filiale logistique Volumen à Interforum (Editis). L’extraordinaire conjonction des succès de 2014 n’a pas duré. "Avec trois grands prix littéraires et le premier roman d’Edouard Louis, le chiffre d’affaires du groupe Seuil avait atteint 61 millions d’euros, et, cette année-là, les éditions du Seuil ont battu leur record historique. Nous n’avons pas, hélas, réitéré la performance en 2015 : le Seuil a perdu l’avantage qu’il s’était assuré en 2014, tandis que les filiales [Points, L’Olivier, Métailié] étaient elles aussi en repli, à l’exception de Métailié", reconnaît sans détour Olivier Betourné.

Il a fallu aussi accepter la vente de Volumen à Interforum, le groupe La Martinière ayant décidé de stopper l’hémorragie financière de sa filiale de diffusion-distribution. "Je ne suis pas intervenu dans la décision, et pas davantage dans la négociation, mais ce choix me convient. Au premier niveau, nous travaillons avec les mêmes équipes de représentants qu’auparavant. Celles-ci ont été renforcées pour faire face à l’accroissement du nombre de clients visités. Et qui douterait que, dans les réseaux de grande diffusion, le Seuil bénéficiera de l’efficacité du système Interforum ? Je suis très confiant pour l’avenir", affirme le président. Contrairement à la plupart des groupes d’édition intégrés, La Martinière favorisait l’édition aux dépens de la diffusion-distribution, qui devait se débrouiller avec des remises très inférieures à la moyenne du marché. Interforum a réaligné ces conditions. "C’est une charge très lourde pour une maison, qui, par tradition, consacre l’essentiel de ses moyens à publier des ouvrages de fond et de création. Mais nous n’avons pas le choix, il nous faut relever le défi", déclare fermement Olivier Bétourné, sans vouloir préciser le différentiel.

Promotion éclair

La nouvelle organisation de la direction générale et des départements éditoriaux annoncée le 11 janvier procède en partie de cette tension nouvelle. "En 2010, à mon retour, j’ai trouvé une maison éclatée en petites principautés. Il m’a fallu réinstituer l’esprit "Seuil", réunifier la maison autour d’un projet commun, ancré dans l’histoire de la maison et tourné vers l’avenir. C’est ainsi que j’ai été conduit à assumer les fonctions de président, de directeur général et de directeur éditorial, tout en travaillant au rajeunissement des cadres éditoriaux. Ce système a produit d’excellents résultats, mais j’estime aujourd’hui qu’il a épuisé ses effets. La réorganisation a deux objectifs : étoffer et rajeunir la direction générale elle-même, responsabiliser les départements du Seuil en les dotant de directeurs éditoriaux, qui seront chefs de leur service, responsables de leurs décisions de publication et de leur budget. Je validerai ensuite ces choix et signerai bien sûr tous les contrats", précise-t-il.

Ludovic Rio, secrétaire général, est promu directeur général adjoint, "pure reconnaissance du travail et des responsabilités qu’assume Ludovic auprès de moi, avec conscience et professionnalisme". L’élément vraiment nouveau est la nomination d’Adrien Bosc (30 ans) au poste de directeur adjoint de l’édition. Une promotion éclair pour celui qui a intégré le Seuil en novembre 2014, avec le rachat des éditions du Sous-sol qu’il avait fondées trois ans auparavant. "Je n’avais rien anticipé au moment du rachat. Adrien est doué, intelligent, rapide. La passion de l’édition coule dans ses veines, il a certainement un bel avenir devant lui. Mais il lui faut maintenant acquérir de l’expérience. Apprendre, apprendre, et encore apprendre !" prévient Olivier Bétourné, dont les compliments publics sont aussi une exigence.

Sur les huit départements du Seuil, trois fonctionnent déjà dans une indépendance éditoriale totale : la jeunesse, sous la responsabilité de Béatrice Decroix, "dont la progression est extrêmement régulière", Don Quichotte, piloté par Stéphanie Chevrier, "qui se bat courageusement sur un créneau délicat, le document, et qui développe un petit secteur littéraire , et les éditions du Sous-sol. Trois des cinq autres départements sont pourvus : Frédéric Mora est confirmé à la direction éditoriale de la littérature française, Séverine Nikel aux sciences humaines, et Nathalie Beaux aux beaux livres. "Fiction & Cie", sous la direction de Bernard Comment, devenu conseiller du président pour le développement de la littérature, "jouit d’une sorte de privilège d’extraterritorialité au sein du département de littérature française, héritage de l’époque où Denis Roche dirigeait la collection. Mais Frédéric Mora a vocation à coordonner l’ensemble des publications, et je compte sur eux pour favoriser le recrutement de jeunes écrivains."

"Pas suffisamment tournés vers l’extérieur"

En littérature étrangère, le départ de Marion Duvert pour l’étranger, d’où elle continuera à s’occuper de ses auteurs, remet en cause une promotion envisagée. Pierre Demarty, actuellement chez Grasset, arrivera en avril, avec la perspective d’occuper cette fonction. "Le domaine des documents demeure un problème. Je réfléchis, avec Nathalie Fiszman, à une réorganisation complète du département. Nous ne sommes pas suffisamment tournés vers l’extérieur, et à l’heure de l’information en temps réel, cela ne pardonne pas", analyse Olivier Bétourné. Les solutions seront mises en œuvre dans le courant du premier trimestre.

Le poche essentiel

"La nouvelle direction de l’édition assure la coordination de l’ensemble de la programmation, de la mise en marché, de la promotion de nos livres. J’assure moi-même la fonction, Adrien Bosc me seconde dans cette tâche. Mais il a aussi son domaine propre d’intervention, et assure la liaison permanente avec Points. Le poche est une composante essentielle de notre activité, et réalise aujourd’hui environ un tiers du chiffre d’affaires du groupe Seuil. Sa vitalité est essentielle à la rentabilité de l’ensemble. Pour faire face à l’érosion du chiffre d’affaires des trois dernières années, Thierry Diaz, nouveau directeur général [ancien directeur commercial d’Univers Poche], est à la manœuvre, et sera bientôt rejoint par Alice Monéger, nouvelle directrice éditoriale."

Pour assurer le financement des investissements à long terme, "nous avons besoin de publier des écrivains grand public et de rentabilité immédiate. La condition pour que prenne la greffe, c’est que ces nouvelles recrues se sentent chez elles, au Seuil. C’est déjà le cas d’Irène Frain et de Valentin Musso, et ce le sera avec Sylvie Testud, l’automne prochain. Il revient au département de littérature française de consacrer une partie de son énergie à nourrir cet espace de publication, maintenant que nous avons repris toute notre place dans le champ littéraire. C’est le Seuil des années 2020 que nous inventons aujourd’hui, et la machine devra tourner à plein régime dans les deux ans qui viennent", annonce son président.

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