En 1989 est sorti Un monde sans pitié. On y voyait un glandeur désabusé sans idéal ni revenu, errant d’aventures en déconvenues et dont la vague ambition était de tomber amoureux. Je vais m’y mettre de Florent Oiseau pourrait être un remake du film d’Eric Rochant. Emblématique de cette génération de perdants bricolant le quotidien à l’orée du nouveau millénaire, on suit Fred, 40 ans et procrastinateur professionnel. Il a enquillé les petits boulots et habite chez son oncle. Chaque jour, comme un mantra, il se répète : "Aujourd’hui il faut que je m’y mette"…
Ce premier roman est l’histoire de cet atermoiement. "Brun ténébreux, mal rasé comme les mecs à la télé", l’antihéros porte assez beau : "pas un cheveu n’a quitté son bulbe sans que je l’y autorise" et "un peu de bide mais franchement c’est honnête". Pas de travail, pas d’argent, pas de sexe. Largué par l’amour de sa vie, Séverine, il doit également "s’y mettre" pour retrouver quelqu’un. Las de ses séances d’érotisme solitaire devant Sophie Davant (le son du poste coupé), Fred a tenté un site de rencontre mais n’a rencontré personne - ce n’est pas allé au-delà d’un dîner avec une employée de banque, traumatisée par sa goujaterie avinée. Car le problème du narrateur est sans doute la boisson, cette façon de noyer le réel dans l’alcool et d’y entraîner les autres : il y eut le petit frère dépêché chez l’épicier pour une énième bouteille, à présent dans l’autre monde à cause d’un chauffard ivre qui le renversa en chemin. Puis cette vieille voisine de palier qu’il a initiée à l’apéritif vespéral, devenu fatal en association avec ses médicaments. Faut s’y mettre ? Mais comment lorsque, vu son peu d’appétence pour le travail, tout travail a des allures de prostitution. A moins que, littéralement… Dans cette tragicomédie corrosive, Florent Oiseau dresse le portrait sans fard d’un loser patenté et d’une société à l’absurde esprit de compétition. S. J. R.