Foire internationale du livre d’abu Dhabi

Tenir coûte que coûte

Signature de Guy Delisle sur le stand du Bief. - Photo Claude Combet/Livres Hebdo

Tenir coûte que coûte

Où en sont les échanges entre le monde arabe et la France ? Les cessions de droits sont-elles importantes ? Petit tour d’horizon sur la Foire internationale du livre d’Abu Dhabi, qui s’est déroulée du 24 au 29 avril.

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Par Claude Combet
avec Créé le 17.10.2013 à 18h49 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Guerre en Syrie, dévaluation de la livre égyptienne et marché chaotique en Iraq : le Moyen-Orient vit un moment difficile, mais la Foire internationale du livre d’Abu Dhabi, du 24 au 29 avril 2013, a montré une réelle volonté de défendre le copyright et la professionnalisation. « Le salon est très actif dans les échanges de droits. Les pays émergents ont les moyens, la volonté et désormais le savoir-faire, confirme Renata Sader, de la librairie Culture & Co de Dubai, qui tenait le stand du Bief, Les autorités émiriennes soutiennent les cessions avec des subventions. Les éditeurs ont tout intérêt à céder leurs droits, ne serait-ce qu’au nom du partage des cultures. »

Accompagnée dans un premier temps par la Foire de Francfort (qui s’est retirée cette année), Abu Dhabi a prolongé son programme d’aide à l’achat de droits. Les éditeurs du Moyen-Orient remplissent directement des « lettres d’intention » au centre des droits supervisé par la Britannique Lynette Owen (Pearson), qui leur permet d’obtenir une subvention de 1 000 dollars. Parallèlement, la foire et l’Abu Dhabi Tourism & Culture Authority organisaient dans le cadre du projet Kalima trois jours de rencontres autour de la traduction vers l’arabe, notamment depuis le français. « Le “printemps arabe? a suscité une réelle effervescence dans beaucoup de domaines et l’édition en a fait partie. Il faut tenir coûte que coûte. Nous avons relancé notre programme d’aide à la traduction et à la publication en 2012 avec un petit budget. Nous l’avons doublé en 2013. Nous avons aussi mis en place un atelier régional de formation de traducteurs, auquel ont participé douze candidats de différents pays arabes », confirme Marielle Morin, responsable de l’Institut français du Caire.

Camus et Ferrari.

La France était toutefois plus discrète sur la foire que les anglophones ou les Allemands. Pour des raisons économiques, les éditeurs français étaient moins nombreux pour cette 23e édition. « L’effet de surprise et d’engouement est un peu passé. Les éditeurs venus les années précédentes ont mis en place des relations qui fonctionnent et ne sont pas revenus. Mais cela reste plus difficile pour la littérature que pour les livres d’art ou de jeunesse », souligne Laurence Risson, du Bief, qui avait mis l’accent sur Albert Camus (à l’occasion du centenaire de sa naissance) et sur Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012, qui enseigne la philosophie au lycée français d’Abu Dhabi. Et si les très littéraires éditions Dar Al-Adab ou Dar Al Hiwan traduisent encore des textes français, elles le font un peu moins : « Je n’ai pas acheté de titre français depuis longtemps », reconnaît Inas Souleman, de Dar Al Hiwan.

Ellipses était l’unique éditeur français à avoir un stand individuel. « L’an dernier, nous avons équilibré notre budget et rencontré nos clients. C’est important car ils constatent que les livres français sont disponibles », précise le fondateur Jean-Pierre Bénézet, en sortant d’un rendez-vous avec le responsable de la librairie japonaise Kinokuniya de Dubai (une grande surface culturelle), qui a passé commande d’une centaine de titres. « Cela nous permet aussi de comprendre et de mesurer le marché », ajoute-t-il.

Deux autres éditeurs avaient fait le voyage : Patrice Hoffmann, directeur éditorial de Flammarion, qui a notamment participé à une table ronde très animée sur les prix littéraires, et Marie Dessaix, responsable des droits chez Nathan Jeunesse, venue défricher le terrain. « C’est une chance de pouvoir rencontrer en un seul lieu les meilleurs éditeurs de chaque pays », assure Patrice Hoffmann. « Si on ne vous voit pas, on ne pense pas à vous. Si je repars avec quatre ou cinq contrats, ça vaut le voyage », souligne de son côté Marie Dessaix.

« La Sorbonne a mis en place un cursus d’édition : malgré le peu d’étudiants l’an dernier, elle persévère. Il y a beaucoup à faire et l’édition arabe n’en est qu’à ses prémices, précise Renata Sader. Les jeunes auteurs sont allés dans les universités américaines ou françaises, et on assiste au développement d’une production éditoriale de qualité qui tranche avec la production “mass-market? qui existait jusque-là. »« Je viens régulièrement en France voir les éditeurs et je vais au Salon du livre de jeunesse de Montreuil. C’est là que j’achète les droits », tempère Amina Alaoui Hachimi, de la maison marocaine Yanbow Al-Kitab. «Trois éditeurs égyptiens pour la jeunesse sont venus en novembre au Salon de Montreuil avec le Bief », confirme Marielle Morin.

Il reste que la situation est très difficile, à l’image de la maison jeunesse syrienne Bright Fingers, dont les fondateurs et Gulnar Hajo ont fui en Jordanie, et qui survit aujourd’hui grâce aux ventes réalisées sur les foires. « Nous avons tout perdu. Au lieu de quinze à vingt titres par an, nous en avons sorti cinq en deux ans », précise Samer Alkadri, qui n’achète plus de droits. Mais Bright Fingers résiste et annonce huit nouveautés pour la rentrée. <

L’explosion de la jeunesse

Comme partout dans le monde, le livre pour la jeunesse arabe connaît la faveur des lecteurs et résiste à la crise.

Les fondateurs de Bright Fingers : Gulnar Hajo et Samer Alkadri.- Photo CLAUDE COMBET/LIVRES HEBDO

Jusque-là cantonné aux livres religieux, d’apprentissage de l’alphabet ou aux ouvrages éducatifs, le livre pour la jeunesse arabe connaît une véritable explosion. Sous la houlette de petites maisons novatrices comme la syrienne Bright Fingers (dont l’illustratrice cofondatrice Gulnar Hajo vient de remporter un prix de la Foire de Sharjah), ou la libanaise Yuki Press, ce secteur s’est ouvert à l’album de qualité, et même aux romans pour les adolescents.

« Les foires du livre sont notre premier marché. Le second, ce sont les écoles », a souligné Shereen Kreidieh, de la maison libanaise Asala, lors de la table ronde sur le marché. « Les écoles sont de gros clients mais elles réclament des prix peu élevés, ce qui pose un problème économique. Mais nous ne manquons pas d’excellents illustrateurs et de bons auteurs », constate Lubna Nuwayhid, de Yuki Press. « Le marché grossit très vite et a beaucoup de potentiel. Nos ventes moyennes se situent autour de 2 000 exemplaires, 6 000 pour les best-sellers », confirme Tamer Said de Kalimat. « Nous vendons davantage dans les magasins de jouets que dans les librairires, dont le réseau n’est pas très dense dans le monde arabe. Les parents achètent un livre pour se déculpabiliser », ajoute Samer Alkadri, cofondateur de Bright Fingers.

La Foire d’Abu Dhabi a parié sur la jeunesse, en organisant des ateliers pour les 60 000 jeunes visiteurs (dont 25 000 scolaires). Tandis que l’Abu Dhabi Tourism & Culture Authority leur a distribué pour 3 millions de dirhams (620 000 euros) de vouchers (l’équivalent des « Chèques Lire »). Soucieuse de la professionnalisation du secteur, elle proposait pour la troisième année un « Coin des illustrateurs », où une vingtaine de créateurs - dont six Emiriens - montraient leurs travaux. Parmi ceux-ci, la jeune Cartoon Art Gallery de Dubai - avec ses espaces d’exposition et ses ateliers - est un exemple de cette effervescence créatrice. Le Goethe Institut l’a compris et organise, en collaboration avec l’Ibby, des ateliers destinés aux auteurs émiriens. Après une première session consacrée à l’illustration animée par l’Allemande Ute Krause (5 albums ont été édités et 2 sont en projet), une seconde a démarré le 28 avril sur la fiction pour des adolescents. La foire leur proposait aussi une visite guidée des stands, des rencontres sur le thème « Comment présenter son portfolio » ou « Illustrateur, un métier de rêve ? », et une table ronde sur les différents marchés.

Le livre pour la jeunesse fait aussi l’objet des plus nombreuses cessions de droits. Et le stand Hachette Antoine avec ses titres Disney, ses Monsieur et Madame, ses Incollables (Play Bac) et autres Cabane magique (Bayard) en témoignait (voir page 16). « Il est plus facile et plus rapide de juger de la qualité d’un album que d’un roman ou d’un essai de sciences humaines », souligne Lynette Owen, responsable du centre des droits. « Le seul souci est le coût de l’inversion des plaques pour la langue arabe. Comme les tirages sont relativement modestes, cela peut freiner les cessions », commente Marie Dessaixsur le point de signer plusieurs contrats. <

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