Il y a une filiation naturelle entre Le garçon sauvage : carnet de montagne (Zoé, 2016) qui reparaît en 10/18, la chronique d’une retraite volontaire dans un chalet d’alpage du Val d’Aoste qui nous avait enthousiasmés, et Les huit montagnes, roman d’initiation situé lui aussi dans ce coin des Alpes et qui célèbre à travers des souvenirs à la première personne, la montagne et les montagnards. Dans ce troisième livre de Paolo Cognetti traduit en français, phénomène à la dernière Foire de Francfort où ses droits ont été cédés dans une trentaine de pays, et estampillé premier roman - Sofia s’habille toujours en noir (Liana Levi, 2013) se présentant sous forme de saynettes autonomes -, le narrateur qui raconte la genèse et trente ans d’une amitié fondatrice, partage de nombreux points communs avec l’écrivain italien né en 1978, grand admirateur du classique Mario Rigoni Stern.
Pietro, un petit Milanais, et Bruno, un fils des alpages, vacher, ont 12 ans en 1984 lorsqu’ils font connaissance à Grana, un hameau dépeuplé où les parents du premier ont loué une maison pour les vacances d’été. En ville, où ils se sont exilés, quittant à 30 ans leur campagne vénitienne, la mère est "assistante sanitaire" dans des quartiers populaires, et le père, orphelin de guerre, chimiste dans une grande usine.
A la montagne, c’est un "alpiniste de combat" qui part à l’assaut des plus hauts sommets. En l’accompagnant dans ses courses, son fils découvre qu’il souffre du mal des montagnes. Les étés se succèdent : celui des 14 ans, celui des 17 ans, le dernier avant plus d’une décennie sans retour. Le narrateur part vivre à Turin et devient documentariste. Il va gravir au Népal d’autres montagnes qui le ramènent toujours à sa première montagne, à son premier guide, le père désormais décédé, et à "l’homme sauvage", son ami. Ainsi, année après année, il y a celui qui reste et celui qui revient. Et leur lien, comme un amour au masculin, sans sexe et sans mots.
Empruntant au genre du nature writing, le récit de Paolo Cognetti, d’une limpidité de glacier, avance dans un espace mélancolique et éternel, comme les neiges d’altitude. V. R.