Le départ de Bruno Racine de la présidence de la BnF donne lieu à des supputations sur le nom de son (ou sa) successeur
ici et
là. Quel réseau d’influence parviendra-t-il à imposer son poulain ? La nouvelle ministre de la culture réussira-t-elle à exister entre le Président de la République et son premier ministre ? Autant de questions sans intérêt au-delà du périphérique parisien.
L’heure serait plutôt à réfléchir à la gouvernance de cette institution et aussi à ses missions. Cet établissement est financé à plus de 95% par les subventions de l’Etat. La dotation de 180 millions d’euros reçue en 2014 (hors travaux de rénovation du site Richelieu) représente plus de 70% du budget « Le livre et la lecture » du ministère de la Culture et de la Communication. C’est 18 fois plus que ce qui était attribué aux 109 « contrats territoires lecture » afin de « favoriser le développement de la lecture sur tout le territoire et en faveur de tous les publics » (citation du
projet de loi de finance 2014). Ne serait-il pas dès lors logique de penser que la politique de l’établissement devrait être définie au niveau du ministère ? N’est-ce pas Nicolas Georges (directeur du livre et de la lecture au ministère) qui devrait impulser sa politique à la BnF ? Au lieu de cela, la BnF dispose des moyens de regarder de haut le service du livre et de la lecture (SLL) qui rassemble une quarantaine de personnes quand elle en totalise plus de 2200…
La question n’est donc pas qui présidera aux destinées de cet établissement mais qui en définit les priorités et avec quelle vision du monde ? En particulier, quelle est la contribution de la BnF à la politique de promotion du livre et de la lecture à l’échelon national étant donné l’ampleur de son budget. Gallica est une réponse et une réussite dont nous nous réjouissons mais cela ne saurait suffire. C’est au plus près de la population que l’action des professionnels peut se révéler la plus efficace. Pour cela, il convient que les bibliothèques territoriales puissent être ouvertes largement ce qui nécessiterait que les professionnels des équipements de lecture publique soient déchargés de tâches qui pourraient être accomplies au niveau national. Pourquoi la BnF ne pourrait-elle pas être (au moins pour une part) au service du réseau des bibliothèques ? Par exemples :
- pourquoi est-ce au SLL de mettre en place un groupe de travail pour réfléchir à la manière dont les bibliothèques doivent éliminer ou conserver les documents du XIXème siècle ?
- pourquoi la BnF ne proposerait-elle pas des fiches de catalogage dont la qualité dispenserait les bibliothécaires locaux de procéder à cette activité ou de se tourner vers d’autres sources pour se procurer des notices ?
- les bouleversements technologiques et sociologiques ne sont pas sans incidence sur le rapport de nos concitoyens avec les bibliothèques. En quoi la BnF conduit-elle et fait-elle partager une réflexion sur ces sujets ? Comment la coopération avec les autres bibliothèques peut-elle se restreindre à la dimension documentaire à l’heure où l’usage des bibliothèques repose de plus en plus sur l’espace ?
Bref, la BnF a sans doute besoin d’un(e) président(e) mais surtout d’ouverture sur le monde présent. Elle est entourée de citoyens et de bibliothèques qui ne peuvent se satisfaire d’une vision verticale et passéiste du monde. Les «
missions » ont été figées en un temps qui ne connaissait pas Internet et il paraît impensable de s’appuyer dessus comme si nous y étions encore. En quoi les collections (collecte, conservation, catalogage, accès) pourraient-elles demeurer le cœur de l’action de la BnF ? Ces questions et ce nouvel état d’esprit seraient utiles et bienvenus. Ils seraient même nécessaires car si les institutions ne montrent pas une capacité à se mettre en phase avec le monde, les citoyens pourraient bien se poser des questions à leur sujet ou se détourner de la démocratie sans laquelle les bibliothèques ne sauraient vivre, fût-ce la BnF...