"Il nous a manqué le public des vacanciers durant les jours précédant Noël", déplore Rémy Ehlinger. Le patron de Coiffard, à Nantes, se satisfait néanmoins d’enregistrer une activité stable en décembre. Confrontée au même trou d’air lié aux vacances scolaires tardives cette année, La Librairie des Halles, à Niort, accuse, elle, "une baisse de 5,8 %" de son chiffre d’affaires. A l’inverse, à Paris, Michel Stievenard, directeur de L’Arbre à lettres Bastille, se félicite "des départs tardifs en vacances qui ont permis de maintenir une forte fréquentation jusqu’à Noël et d’augmenter de 5 % le CA de décembre".
"Des journées énormissimes"
En plaçant cette année les vacances entièrement après Noël, du 23 décembre au 8 janvier, le calendrier scolaire a avantagé les commerces des grandes métropoles. A Paris et en Ile-de-France, nombre de libraires, à l’instar de Florence Lorrain (L’Art de la joie, Paris 15e), Philippe Soussan (Les Vraies Richesses, Juvisy) et Nathalie Iris (Mots en marge, La Garenne-Colombes), évoquent "des journées énormissimes les 22 et 23 décembre".
Résultat, à l’échelle nationale, l’Observatoire de la librairie, qui agrège sous l’égide du SLF les données de 180 établissements indépendants, fait apparaître, pour décembre, une stabilité des ventes au global et un recul de 0,6 % au comptant.
Pour Florence de Mornac (La Librairie des Halles, Niort) et François Veyrié (Nouvelle Librairie Baume, Montélimar), le grand gagnant des fêtes a été Internet. Tandis que la première pointe l’évolution de plus en plus perceptible des modes de consommation au profit des ventes en ligne, le second estime que le calendrier scolaire a accentué le phénomène "car beaucoup de gens ont voulu éviter le rush prévisible des magasins les 22-23 voire 24 décembre". Le libraire montilien reconnaît aussi avoir souffert de l’ouverture, à l’automne, d’une Fnac en périphérie de la ville. L’impact concurrentiel a été d’autant plus fort que la production d’automne comptait plusieurs titres grand public adaptés aux circuits de la grande distribution tels Darker : cinquante nuances plus sombres par Christian d’E. L. James (Lattès), Origine de Dan Brown (Lattès) ou encore Astérix, volume 37, auxquels se sont ajoutés les livres sur Johnny Hallyday, disparu en décembre.
Responsable du développement des espaces culturels Leclerc, Marie José Cegarra fait état de premières remontées de terrain "très positives par rapport à décembre 2016" et, chez Cultura, Jean-Luc Treutenaère, directeur des relations extérieures, annonce, "à périmètre stable, de beaux mois de novembre et de décembre". A la Fnac, Alexandre André, responsable de la communication, explique que "si les ventes de décembre ont connu un démarrage tardif, elles se sont bien rattrapées avant Noël et toute la semaine suivante".
Alors que les beaux livres d’art ont confirmé leurs difficultés à trouver leur public, les rayons littérature, jeunesse et BD ont, comme désormais chaque année en cette période, affiché de belles performances. Quelques titres se sont également distingués dans d’autres rayons, à commencer par La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben (Les Arènes), dans ses versions essai et illustrée. Ou encore le beau livre d’histoire Les chiffonniers de Paris d’Antoine Compagnon (Gallimard). Mais, selon Rémy Ehlinger, "les clients ont aussi au dernier moment changé leur fusil d’épaule en apprenant le décès de Johnny Hallyday et de Jean d’Ormesson. Chez nous, il y a eu beaucoup de demandes autour de l’auteur académicien… sans doute au détriment de certains de nos coups de cœur et peut-être même des prix littéraires." Et de regretter, comme nombre de ses confrères, des ruptures de stock sur les Œuvres de Jean d’Ormesson en "Pléiade", tout comme sur le beau livre Terre(s) de Thomas Pesquet (Michel Lafon), sur la BD Dans la combi de Thomas Pesquet de Marion Montaigne (Dargaud) ainsi que sur Les chiffonniers de Paris.
Poursuivre le redressement
D’après les libraires, les ventes de décembre, qui pèsent près du double de celles d’un mois normal, contribuant à hauteur de 13,5 % aux ventes annuelles, ne permettront pas d’inverser la tendance négative qui a prévalu tout au long de l’année. Il est vrai que le défi était lourd. Même si le recul de l’activité, qui s’inscrivait à - 4,5 % à fin juin d’après nos données LivresHedo/I+C, a été ramené à - 1,4 % à fin novembre. Se réjouissant de quitter une année 2017 difficile, plombée par les élections présidentielle et législatives, les libraires espèrent une poursuite du redressement engagé au deuxième semestre avec l’arrivée de la rentrée de janvier et de titres comme 4 3 2 1 de Paul Auster (Actes Sud), Et moi, je vis toujours de Jean d’Ormesson (Gallimard), Les loyautés de Delphine de Vigan (Lattès) ou encore Couleurs de l’incendie de Pierre Lemaitre (Albin Michel).