Le livre dont la BD est l'héroïne. Merlin est désespéré : plus personne ne s'intéresse à lui ni à ses glorieuses aventures passées. Avant que son chapeau pointu ne s'affaisse pour de bon, il consulte son ami Pierrot, qui lui prête sa plume et ses idées. Pour redevenir une star, Merlin devra accomplir une quête dangereuse, avec l'aide d'une brigade de héros. Il jette alors son dévolu sur deux ex-vedettes de cinéma - un barbare et un fantôme - à qui il fait miroiter un regain de célébrité...

Auteur singulier du rayon jeunesse et amateur de manipulation du médium bande dessinée (Les amoureux ou Récréation, La Joie de Lire, 2019, 2022, Les spectateurs, Gallimard, 2016), Victor Hussenot se lance ici dans un récit fleuve, dont l'apparente linéarité cache bien évidemment son lot de surprises. Il faudra ainsi garder l'œil ouvert, et le bon, pour discerner les détails tordants et signifiants de ses cases. Par un trait minutieux et des couleurs percutantes, il construit des panoramas vertigineux. À chaque double-page des mondes entiers se déploient dans lesquels évoluent nos héros sur le retour. Il y a du Claude Ponti dans ces décors dotés de visages et ces images où se dissimulent des petits personnages à l'allure étrange. Il y a du Fred, aussi, dans le jeu sur les mots et la poésie douce-amère, et du Winsor McCay dans l'ambition de transformer la planche en terrain de jeu. Mais Victor Hussenot ne se contente pas de remplir ses pages de délicieux clins d'œil : séquence après séquence, il déstructure la narration, en s'amusant avec des formes de planches saugrenues et des chemins de lecture ludiques. Le plus fort est qu'il ne le fait jamais gratuitement, dans un élan d'esbroufe ou par pur exercice de style. Ici, la forme est toujours dictée par les besoins du scénario, mais on n'en dira pas plus pour ne rien gâcher de ces grisantes montagnes russes narratives...

Personnages détonants, rebondissements jubilatoires, dialogues savoureux, structures de récit déstabilisantes, l'album ressemble par moments à un parc d'attractions du 9^e art, mais c'est moins pour amuser la galerie que pour rendre hommage au pouvoir de l'imaginaire, aux grands héros intemporels, et à l'importance des livres imprimés. Ainsi qu'aux mille possibilités de la bande dessinée pour échafauder des histoires uniques.