Ce récit de voyage inédit d’Edith Wharton (née à New York en 1862, morte à Saint-Brice-sous-Forêt, Seine-et-Oise, en 1937) est l’un des plus réjouissants qui soient. Non point tant par le choix de sa destination, quoique la France des années 1906-1907, adoptée par elle pour y vivre en raison de son haut degré de "civilisation" par rapport à son pays natal, voire même à sa chère Angleterre, avec ses routes désertes, ses cathédrales dans leur jus, ses paysans accorts et, plus généralement, les "bonnes manières" de ses autochtones, paraisse bien exotique au lecteur d’un siècle après. Non plus par les conditions concrètes du périple, sur quoi l’écrivain s’attarde assez peu. On sait simplement, rappelle Julian Barnes dans sa préface amusée, que Teddy, Edith Wharton et leurs deux chiens circulaient dans une Panhard et Levassor 15hp achetée à Londres d’occasion, conduite par Charles Cook, leur chauffeur "yankee", en compagnie, parfois, d’un invité. Ainsi, en 1907, c’est Henry James qui fut leur hôte pour trois semaines, de Paris à Poitiers, de Poitiers aux Pyrénées, des Pyrénées vers la Provence et du Rhône à la Seine. Aussi célèbre qu’impécunieux, James, prié de payer son écot, mais volontaire pour ces expéditions et qui en redemandait, eût préféré des hôtels moins luxueux ! Précisons aussi que, la Panhard ne pouvant contenir tous les bagages, et les patrons n’ayant pas le temps, tout à leurs extases touristiques, de s’occuper de la matérielle, toute une armée de domestiques était envoyée à l’avance, en train ou en malle-poste, afin de préparer le terrain. Edith Wharton, elle, préférait à tout l’automobile, qui avait "restauré le romantisme du voyage". C’était bien avant les congés payés, qu’elle a connus juste avant sa mort, et qui ont dû la déprimer.
Le charme premier de La France en automobile réside dans le déroulement du voyage en lui-même, et le récit que l’écrivaine en fait. Sec, intello, sans détails sur les pannes de la voiture, les angines ni les bronchites dues aux intempéries, la Panhard d’origine n’ayant même pas de pare-brise. Héritière snobissime d’une riche famille américaine, les Newbold Jones, Edith déplore volontiers l’inconfort des hôtels, la médiocrité de la table, mais elle est prête à tout endurer pour enchaîner, à un rythme effréné, les visites de cathédrales, gothiques ou romanes, mais de préférence pas "restaurées" par Viollet-le-Duc, à l’exception de celle de Clermont-Ferrand, avec sa "sinistre splendeur".
Ces trois récits sont parus en reportages dans Atlantic Monthly, aux Etats-Unis, puis en volume en 1908. Quelques années après, les aimables Français s’étripaient avec leurs voisins Allemands, avant qu’un second conflit, vingt-cinq ans plus tard, ne ravage le pays et une partie de son patrimoine. Edith Wharton, Française de cœur, ne l’aurait pas supporté. Une "chance", elle est morte un peu avant.
J.-C. P.