LIBRAIRIE

Canal mutuel

"Je rêve de voir un jour les librairies généralistes et autres groupements de libraires s'emparer de notre modèle." MARC SZYJOWICZ - Photo OLIVIER DION

Canal mutuel

En moins de six ans, le réseau Canal BD s'est imposé comme l'un des groupements de libraires indépendants les plus performants, dynamisant l'image et le chiffre d'affaires de ses adhérents. Les explications de son directeur général, Marc Szyjowicz.

J’achète l’article 1.5 €

Par Cécile Charonnat
avec Créé le 31.12.2014 à 13h36

Quatre-vingt-neuf adhérents de la France au Québec, en passant par la Belgique, la Suisse et l'Italie ; deux magazines ; un portail Internet qui fonctionne ; 21 opérations commerciales et une progression du chiffre d'affaires du réseau de l'ordre de 8,6 % en 2011. Discret, Canal BD n'en est pas moins l'un des plus, si ce n'est le plus, dynamique des groupements de libraires indépendants français, et certainement le plus en pointe dans la mutualisation des moyens. Organisé en coopérative depuis 2007, il est parvenu en quatre ans à franchir de nombreuses étapes, "que d'autres ont mis une dizaine d'années à atteindre », souligne l'un de ses délégués généraux, Bruno Fermier.

Les bonnes personnes au bon moment

Beau joueur, Marc Szyjowicz, P-DG de la librairie BD Net, à Paris, et directeur général du Groupement des libraires de bande dessinée (GLBD), nom officiel de la coopérative dont Canal BD est le label, n'hésite pas à rendre à son délégué ce qu'il lui doit. "Nous sommes toujours tombés sur les bonnes personnes au bon moment. Bruno Fermier était un de mes clients. A la tête d'un groupement dans l'électroménager, il a tout de suite vu le potentiel qu'une telle organisation pouvait avoir dans la librairie. » Nous sommes en 2006-2007. Alors que les grandes chaînes culturelles s'intéressent de près au marché de la BD, l'Association des libraires de bande dessinée (ALBD), créée en 1990 pour défendre la loi sur le prix unique du livre et organiser quelques actions collectives, bat franchement de l'aile. "Face à la concurrence des chaînes, il nous fallait absolument consolider nos activités. Or la forme associative nous limitait trop. Nous n'avions pas, par exemple, de cohésion commerciale : les éditeurs nous traitaient individuellement et nous n'avions pas de poids pour négocier des opérations, qui nous échappaient. »

Persuadée qu'il faut mettre davantage en commun pour que chacun en profite, une branche de l'association, qui forme aujourd'hui le noyau dur de la direction du GLBD, décide donc de sauter le pas et de se transformer en société coopérative. "Rétrospectivement, ce changement a été primordial. Passer d'une association à une société commerciale nous a fait décoller. L'entreprise est la meilleure des formules pour se développer. Parce qu'elle a à sa tête un dirigeant, ce que ne permet pas une association, et qu'elle nécessite, pour évoluer, une dynamique, du mouvement, donc des prises de décisions en continu." Pas évidente, la mue, qui en a hérissé certains au point qu'ils ont quitté le navire, s'est opérée grâce notamment à un gros travail de pédagogie auprès de chaque libraire. "Certains avaient peur d'y perdre leur indépendance et leur âme. Pourtant, notre objectif était, et reste toujours, à l'exact opposé. Nous voulions nous mutualiser pour continuer à exister en indépendant et conservernos spécificités de commerce de centre-ville. Il s'agissait juste de prendre les recettes déjà éprouvées dans d'autres branches pour nous les appliquer. »

Progressivement, donc, Canal BD bâtit des outils communs, au premier rang desquels les opérations de promotions d'albums, de séries ou d'éditeurs qui enregistrent des taux de participation de l'ordre de 80 %. "C'est maintenant un phénomène gagnant-gagnant, se félicite Marc Szyjowicz. Les libraires accroissent leurs ventes sur des albums auxquels ils ne croyaient pas forcément, ou plus, et sur lesquels ils n'auraient pas accepté de faire une opération seuls. Cela provoque également une dynamique dans leur boutique, que les clients ressentent.Quant aux éditeurs, ils voient le résultat global du groupement et non plus celui de chacun. Et cela change tout dans nos relations." Cette force nouvelle a permis à Canal BD de négocier des remises communes pour tous ses adhérents, quelle que soit leur taille, à l'exception de quelques fournisseurs chez qui les écarts varient de 1 à 2 points. "Les éditeurs craignaient de créer des précédents en donnant de la remise. Mais nous leur avons prouvé que nous pouvions compenser par la quantité. Ce problème évacué, nos libraires peuvent consacrer plus de temps au commerce et au livre », se félicite le directeur général de Canal BD.

Au-delà du commercial, la mutualisation atteint désormais tous les niveaux : marketing, avec notamment la fabrication de sacs et de matériels de signalisation aux couleurs du groupement ; administratif, avec la construction d'outils de gestion et d'analyse des ventes quotidiennes des libraires du réseau ; et numérique avec la mise en oeuvre d'un portail marchand, quasi en autosuffisance économique, lancé à l'été dernier et effectif depuis deux mois (1). De la même façon, Marc Szyjowicz travaille inlassablement à une mise en avant accrue de la marque Canal BD, non sans provoquer, là encore, quelques grincements de dents. "C'est le seul moyen de renforcer notre cohésion et élaborer une communication nationale qui retombera automatiquement dans l'escarcelle de chaque librairie », estime-t-il.

Volontariat

Ce système, désormais bien rodé, repose sur un grand principe, le "volontariat au service du groupement », qui figure dès les premières lignes du vade-mecum remis à chaque libraire. "Intégrer Canal BD, c'est accepter de mettre une partie de son temps à disposition du réseau et de partager ses bonnes idées et ses outils », explique Marc Szyjowicz. Chacun est invité à participer à une des commissions de travail qui structurent le réseau, ou peut devenir un "correspondant éditeur", chargé notamment d'impulser les opérations commerciales. Cette implication, "un état d'esprit, presque une valeur », souligne Marc Szyjowicz, est un des critères de recrutement, contrairement au chiffre d'affaires ou au niveau d'expérience dans la librairie. "Les gens venus d'horizons divers nous apportent beaucoup : une vision dépoussiérée et décomplexée de notre métier, primordiale pour avancer." Et le dirigeant de 55 ans, qui "rêve de voir un jour les librairies généralistes et autres groupements de libraires s'emparer de [leur] modèle », de songer, aussi, à passer la main "à la nouvelle génération ».

(1) Voir LH 872, du 1.7.2011, p. 55.

31.12 2014

Auteurs cités

Les dernières
actualités