Marchés publics

Comment les gagner

Wilfrid Séjeau, librairie Cyprès-Gens de la lune à Nevers. - Photo O. Dion

Comment les gagner

Confrontés à une concurrence exacerbée, les libraires voient une partie de la manne publique s’envoler au profit de gros opérateurs. Pour inverser la tendance, et malgré l’encadrement strict imposé par le code des marchés publics, il existe des solutions simples à mettre en place.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 14.10.2013 à 21h34

L’exemple le plus retentissant a eu lieu en avril dernier. A la tête des Sandales d’Empédocle, librairie indépendante bisontine, Romain Méchiet a vu les lots littérature et jeunesse de la médiathèque de Besançon lui échapper au profit d’un confrère situé à l'autre extrémité de la France. Dépité, le libraire a fait connaître publiquement sa colère et son incompréhension, des sentiments que partagent aujourd’hui bon nombre de professionnels, confrontés, depuis des mois, aux mêmes difficultés. «La loi de 2003, qui plafonne à 9 % la remise accordée aux acheteurs, a permis pendant un temps aux libraires de regagner des positions. Mais la tendance est à nouveau en train de s’inverser au profit de grands opérateurs », confirme Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF).

La situation, qui conduit parfois certaines structures au bord de l’abîme financier, inquiète profondément les libraires, qui souhaiteraient que se dessine, du côté des pouvoirs publics, une avancée concrète. Mais si la volonté politique existe, si réflexion et concertation restent de mise au ministère de la Culture, elle se heurte à la complexité de la problématique, bien réelle. En attendant que les lignes bougent, des libraires s’emploient cependant à tirer leur épingle d’un jeu rendu délicat en raison de critères de sélection des offres essentiellement qualitatifs - le seul critère objectif, le prix, ayant été neutralisé -, par nature subjectifs et difficiles à évaluer.

Ainsi, pour Wilfrid Séjeau, « perdre des marchés publics n’a rien d’une fatalité ». Le libraire, aux manettes du Cyprès-Gens de la lune à Nevers, réalise 40 % de son CA, 516 000 euros en 2012, avec les collectivités et remporte régulièrement les appels d’offres lancés dans son département, même lorsqu’il est confronté à une concurrence chevronnée. Sa méthode repose sur quatre principes : temps, qualité de services, habilité et pédagogie. Une démarche qu’appuie Julie Chettouh, ancienne acheteuse publique qui dispense désormais des formations, via l’INFL, aux libraires : « Il faut toujours bien prendre le temps de lire en entier les appels d’offres, jusque dans leurs moindres détails, et ce même lorsque l’on est déjà titulaire du marché. » Trop de professionnels considèrent en effet que le renouvellement est « automatique », et reproduisent, tous les trois ans, durée courante d’exécution d’une commande publique, une réponse quasi identique. Or, à l’image du marché du livre, les besoins des bibliothèques évoluent, les conduisant à introduire fréquemment de nouvelles exigences, de plus en plus variées, qui vont du conseil à l’animation de rencontres en passant par la veille documentaire ou la fourniture de données bibliographiques. Par ricochet, les libraires sont donc contraints, s’ils veulent mettre tous les atouts dans leur poche, à « monter de plus en plus en qualité de services tout en acceptant des marges faibles », pointe Wilfrid Séjeau.

Nathalie Couderc et Sophie-Anne Négrier, qui gèrent La Librairie-presse de Caussade (82), ont bien compris l’enjeu. Titulaires depuis six ans des lots romans et BD des huit médiathèques de la communauté de communes, elles ont remporté au début de juillet les lots jeunesse et documentaires pour un montant total approchant 38 000 euros annuels. En concurrence avec Mollat, distant de 250 km, elles ont bâti leur réponse sur des services que la proximité leur permet de développer, comme la gratuité de la livraison des offices et des commandes ainsi que des retours et des échanges, l’ouverture des réserves de la librairie à chaque responsable de médiathèque, du conseil personnalisé et la rédaction des coups de cœur mis en avant dans chaque structure.

 

 

Lobbying

Une fois établis les services originaux, qui permettront à la librairie de se démarquer d’opérateurs éloignés géographiquement, il reste au libraire le soin, lorsqu’il remplit son dossier de candidature, de les valoriser et de les vendre. Pour cela, Wilfrid Séjeau utilise la note technique, qui accompagne chaque dossier. Au fil de sept à huit pages, il détaille l’ensemble de ses prestations : sa politique d’animation, sa capacité à mobiliser un carnet d’adresses et un réseau afin de faciliter la venue d’un auteur, le prêt de services de presse aux bibliothécaires, la mise à disposition de revues et magazines spécialisés, comme Page des libraires, la livraison des commandes directement dans les locaux des médiathèques ou la présentation personnalisée des offices. Jouant sur le fait que tout ce qui n’est pas interdit par le code des marchés publics est autorisé, le libraire ajoute aussi des éléments d’appréciations supplémentaires, comme le label Lir.

Dans le même état d’esprit, il n’hésite pas à habiller ses réponses. « Il n’y a aucune raison pour que la librairie se fasse recaler par souci d’honnêteté. Par exemple, pour contrer l’annonce de délais de livraison manifestement mensongers, j’inscris la formule : "Si ouvrage en stock, livraison immédiate" », détaille le libraire. « Il vaut mieux écrire que l’on peut tout faire en précisant que c’est sur demande ou en prévisionnel », renchérit Julie Chettouh, qui préconise également d’adopter une démarche scolaire en traitant d’abord les critères qui rapportent le plus de points et en reprenant les termes employés par l’acheteur.

Mais la règle d’or, celle que recommandent les libraires et la formatrice, et qui, pour Guillaume Husson, est « payante sur du long terme », relève du lobbying. Se faire connaître auprès des bibliothécaires, des acheteurs et des élus, généralement peu au fait de la réalité du métier, expliquer le fonctionnement et les contraintes d’une libraire et les sensibiliser à sa fragilité économique, contribue à obtenir un cahier des charges qui colle davantage aux spécificités de fournisseurs locaux et qui favorise la proximité. Toutefois, ces trésors d’inventivité déployés par les libraires pour regagner du terrain dans la bataille de la commande publique, risquent, demain, de se retrouver balayés par un nouveau venu. Encore embryonnaire, le numérique se révélerait, s’il prenait rapidement de l’ampleur, «dévastateur pour les libraires, affirme Wilfrid Séjeau. Il faut donc que la profession s’y prépare en réfléchissant notamment à une solution collective. » Soutenu par le SLF, développé par Dilicom, le prêt numérique en bibliothèque, qui pourrait entrer en phase d’expérimentation d’ici à la fin de l’année à Brest avec Dialogues, à Grenoble au Square, à Rouen avec L’Armitière ou à Rennes chez Le Failler, peut constituer, déjà, un élément de réponse.

11.10 2013

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