27 avril > Essai France > Julien Bernard

Difficile de définir une émotion. Selon que l’on convoque la biochimie, la neurologie ou la psychologie, la vision sera différente. En sociologie, c’est encore moins évident, d’autant que la discipline, du moins en France, s’intéresse depuis peu à ce sujet. Chemin faisant, on pourrait tout de même définir l’émotion comme la manifestation observable d’un sentiment.

L’émotion, c’est en effet ce qui s’échappe de nous comme le souligne l’étymologie, du latin ex-movere, qui indique un "mouvement vers l’extérieur". Ce qui s’enfuit est donc susceptible d’être analysé, avec méthode si possible. C’est ce que propose Julien Bernard (université Paris-Nanterre). Depuis une quinzaine d’années, il travaille sur les émotions. Il a commencé par les passions culturelles (sport, musique, etc.) puis s’est intéressé aux rapports que nous entretenons avec les risques et avec la mort. Ce dernier point fut l’objet d’un précédent livre intitulé Croquemort (Métailié, 2009), pour lequel il se fit porteur de cercueils.

Dans son approche anthropologique, ce jeune sociologue place quelques balises : bonheur, souffrance au travail, amour conjugal, attachement aux enfants, tristesse du deuil. Ces thèmes, il les aborde en convoquant les meilleurs auteurs des sciences humaines pour dire autant "§ la manière dont le social nous "travaille" émotionnellement que celle dont les émotions "travaillent" la société". Ainsi, devoir être triste à un enterrement et joyeux à un mariage est une tradition dans nos sociétés, une "force d’imposition par le groupe de la norme émotionnelle".

Dans un registre plus inattendu, il aborde également le rôle des émotions dans l’histoire. La nuit du 4 août 1789 peut alors s’expliquer par un débordement affectif. Une partie des nobles et du clergé ont voté contre leurs intérêts par dépit, mais aussi portés par l’enthousiasme des débats et sans doute également pour accroître l’estime des autres à leur égard. Parvenus au pouvoir, certains gouvernent par les émotions. Ils contrôlent les réactions affectives de la population et contiennent la contestation. Ils mettent ainsi en concurrence ces expressions affectives qui se manifestent dans les problèmes de société, les sujets politiquement sensibles ou les questions de mœurs. On voit combien le travail de Julien Bernard entre en résonance avec l’actualité la plus immédiate dans un monde où l’émoi compte tant. L. L.

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