Droit

La France et ses ennemis

LIONEL BONAVENTURE / AFP

La France et ses ennemis

Alors que l'Union européenne vient de bannir les chaînes Russia Today et Sputnik, retour sur l'infraction "d'offense au Chef d'Etat étranger".

L’Union européenne est donc en train de bannir les chaînes Russia Today et Sputnik de l’espace médiatique, alors que la censure est, encore moins au XXIe siècle, une bonne façon de combattre la propagande, fut-elle émise par une dictature post stalino-tsariste et son alliée biélorusse ; et ce après que nous avons dénoncé durant des décennies le sort de Boulgakov, de Soljenitsyne ou encore des Pussy Riot

Plus censément, des milliers d’écrivains (dont celui, à la fois avocat et auteur qui signe ces lignes) ont publié dès le dimanche 27 février dernier une longue lettre ouverte de soutien à nos amis ukrainiens dans The Guardian, un texte mené par le Pen international avec le concours de plusieurs lauréats du Prix Nobel de littérature et de Salman Rushdie.

"Offense au Chef d'Etat étranger" 

Restent ensuite les qualificatifs qui sont utilisés à l’encan contre Vladimir Poutine et la Russie sur les réseaux sociaux et le régime juridique qui leur est applicable. Rappelons donc que l’infraction d’offense au Chef d’État étranger, en vigueur jusqu’en 2004, a été longtemps considérée comme un délit d'opinion. Cette situation a pris fin grâce aux signataires de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui dépasse de loin le nombre d’États qui constituent l’Union européenne ? Ce traité a donné aussi naissance à une juridiction relativement efficace, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, que la Russie a ratifiée… et qui a forcé la France, à l’issue de longs combats judiciaires, à alléger son arsenal liberticide.

Certes, aux termes de l’article 41 de la Convention européenne, « si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou ses Protocoles, et si le droit interne ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable ». Autrement dit, des dommages-intérêts. Mais la véritable sanction est qu’un dispositif législatif national mis en cause doit donc être modifié pour entrer en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne. L'article 34 de ladite Convention Européenne autorise de saisir « sa » Cour (la « CEDH »), qui siège à Strasbourg. Seul hic : cela n’est possible qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours en droit interne. En clair, une fois que le justiciable a fait plaider sa cause devant un tribunal de première instance, puis une cour d’appel, et enfin la Cour de cassation ; soit environ, bon an mal an, huit années de procédure…

Une censure stérile et anachronique 

Des journalistes, des éditeurs de livres ont toutefois trouvé l’énergie (et la ressource financière) pour faire juger la France et ses lois de censure. Par un arrêt de 2002, elle a contraint le législateur national à abroger en 2004 le délit d'offense aux « chefs d’Etat étrangers, aux chefs de gouvernement étrangers, à leurs ministres des Affaires étrangères et agents diplomatiques »… Ces textes s’appliquaient aux informations relatives aussi bien à la vie privée des intéressés qu’à leurs fonctions. La véracité des propos tenus à leur égard importait peu, puisque l’intention ou non de nuire était seule prise en compte.

En 1998, la Cour de cassation a ainsi réprimé ceux qui relataient l’implication de la famille royale du Maroc dans le trafic de haschisch. Noir Silence, sous-titré Qui arrêtera la Françafrique ?, du regretté François-Xavier Versachave, publié aux Arènes, a été poursuivi devant les juridictions françaises par un trio de chefs d’État africains qui ne sont pas des phares de la démocratie. L’amitié de Paris avec les dictateurs implantés dans son ancien Empire colonial, autorisait ces régimes à poursuivre leurs opposants réfugiés en France… jusque devant les juridictions françaises.

Enfin, en 2019, l’assemblée plénière de la CEDH a jugé, par trois arrêts, que le Royaume du Maroc ne pouvait agir en diffamation en France. L’article 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne permet pas ainsi à un État, qui ne peut pas être assimilé à un particulier au sens de ce texte, d’engager une poursuite en diffamation sur le fondement de cette loi. Ensuite, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne peut être créé un droit matériel de caractère civil qui n’a aucune base légale dans l’État concerné. En conséquence, aucun État, qui soutient être victime d’une diffamation, ne peut agir en réparation de son préjudice et, dès lors, il n’existe aucun droit substantiel dont le droit processuel devrait permettre l’exercice en organisant (…) un accès au juge de nature à en assurer l’effectivité.

Ainsi, sans avoir à se prononcer sur l’invocabilité par un État de la Convention européenne, l’Assemblée plénière juge que, en l’absence de droit substantiel résultant du droit interne ou du droit conventionnel, l’accès au juge, qui a pour fonction de faire valoir un droit, est sans fondement et ne peut être considéré comme méconnu…

C'est donc, plutôt que le recours stérile et anachronique à la censure, la consécration de la théorie de l’arroseur arrosé.

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