31 août > Roman Allemagne > Heinrich Gerlach

Le roman de guerre est un genre à part. Comme la guerre d’ailleurs. Ici, nous avons affaire à un témoignage maquillé en roman de guerre. Il utilise les procédés du second, mais on s’aperçoit vite qu’il s’agit d’autre chose. Des petits détails qui sonnent juste, des regards délavés qui en disent long sur la lassitude des corps et des esprits, des dialogues que l’on sent pris sur le vif. Eclairs lointains fait partie de ces grands romans antimilitaristes qui ont dessillé les yeux des Allemands sur le jusqu’auboutisme d’un état-major à l’égard d’une armée encerclée. Heinrich Gerlach était lieutenant dans la 14e division de Panzer à Stalingrad. Il aurait pu, comme d’autres, raconter ses souvenirs et s’accrocher quelques médailles. Il a choisi l’approche romanesque qui lui donnait une liberté de ton pour exprimer sa grande désillusion à travers différents personnages.

Avec le lieutenant Breuer, le caporal Geibel, le chauffeur Lakosch, l’adjudant Harras et le capitaine Engelhard, nous sommes donc dans une armée allemande en pleine déroute, dans le froid et le désarroi. La petite troupe subit le chaudron de Stalingrad en sachant que la neige sera son linceul. Peu à peu, chacun comprend que les ordres d’Hitler sont stupides et que Paulus ne tiendra pas face à la détermination des Soviétiques. Quant au pasteur Peters, il observe les soldats mourir de dysenterie et de diarrhée. Dès les premières lignes, Heinrich Gerlach (1908-1991) installe une tension qui ne retombe pas. Il brosse les portraits de ces soldats cernés et condamnés. Les dialogues sont d’une vérité imparable et les scènes sont frappées du sceau du vécu avec les cadavres gelés, le bruit des bombes ou la fureur des drames comme ce soldat transformé en torche humaine qui implore secours et qu’un officier soulage d’une balle dans la tête.

Si le ton d’Eclairs lointains saisit par sa force évidente, son histoire ne manque pas de surprendre elle aussi. Heinrich Gerlach a écrit ce roman durant sa détention dans les camps russes. Libéré en 1950, le prisonnier de guerre se voit évidemment confisquer le manuscrit par les services secrets soviétiques. Trop antimilitariste. Mais l’auteur ne renonce pas. De retour en Allemagne, il fait appel à un hypnotiseur pour retrouver les bribes de son texte enfoui. Il publie cette version en 1957 sous le titre Die verratene Armee (L’armée trahie, France Empire, 1959) qui se vend à plus d’un million d’exemplaires. Mais au début des années 1990, à la faveur de la chute de l’Union soviétique, les archives russes s’ouvrent et on exhume le manuscrit saisi. C’est celui-ci qui est traduit aujourd’hui. Ce qu’il nous dit de la guerre, vécue sur le front allemand, mérite toute notre attention. Laurent Lemire

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