La lente mutation du droit pratique

"Nous sommes sur un marché difficile. Notre fonds est très actif mais nous sortons peu de nouveautés." Marguerite Cardoso, Eyrolles - Photo Olivier Dion

La lente mutation du droit pratique

Face à l’érosion des ventes des gros ouvrages généralistes, les éditeurs de livres juridiques grand public se tournent de plus en plus vers les petits formats sur une problématique précise.

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Par Charles Knappek
avec Créé le 02.09.2016 à 01h30

Les éditeurs d’ouvrages juridiques grand public ont connu des jours meilleurs. La concurrence d’Internet et de la presse spécialisée les conduit à une remise en cause de plus en plus forte du modèle des grosses bibles généralistes. "Nous sommes sur un marché difficile, reconnaît Marguerite Cardoso, responsable d’édition chez Eyrolles. Notre fonds est très actif mais nous sortons peu de nouveautés car il y a peu de demande." "Le rayon droit pratique n’est pas en développement, confirme Anne-Laure Marie, directrice de Prat. Nous sommes face à des lecteurs qui achètent seulement quand les questions abordées les impliquent financièrement."

Location pour les nuls, divorce mode d’emploi, la SCI facile… Les adeptes d’ouvrages de droit pratique veulent du concret et sont plus exigeants. "Le lectorat est en évolution, juge Emile Guchet, fondateur du Puits fleuri. Autrefois, nous étions face à des personnes très éclairées sur certains sujets, par exemple des propriétaires. Aujourd’hui, c’est plus rare, les lecteurs attendent une solution précise à leur problème, ils ne cherchent plus à enrichir leur culture juridique."

Petits prix

Conséquence, s’ils représentent toujours les meilleurs volumes de vente, les traditionnels vade-mecum traitant de tous les sujets sont en recul régulier. Ce sont les ouvrages moins épais, moins chers et prêts à l’emploi qui ont le vent en poupe. Chez Prat éditions, la collection "Défendez vos droits !", avec des titres à moins de 10 euros, incarne cette tendance. De la même façon, dans sa célèbre collection des "Nuls", First choisit le format poche, et donc à plus petit prix, pour les livres se focalisant sur des sujets précis alors que les titres plus généraux paraissent en grand format. "Le droit est un petit secteur chez nous, mais il tourne bien", se réjouit Marie-Anne Jost-Kotik, directrice éditoriale du pôle référence de First. La collection "Pour les nuls" concentre toute l’offre en la matière avec quelques titres phares comme Le droit pour les nuls, qui s’est écoulé à 4 000 exemplaires.

Pour se maintenir sur un marché morose, d’autres jouent la carte de l’ultra-niche. C’est le cas du Puits fleuri avec des titres aussi pointus que Sauvegarde et restauration des églises et des chapelles ou Amiante, guide pratique et juridique. "Sur ce type de livres, la clientèle est moindre, mais elle est plus facile à atteindre", note Emile Guchet. L’une des meilleures ventes de l’éditeur est Droit pénal de la circulation routière.

A l’opposé, Delmas, qui bénéficie de l’image de marque de Dalloz, joue la carte de l’exhaustivité avec la collection "Delmas express", dont les titres consacrés à des thématiques aussi classiques que la location, le divorce ou les donations atteignent allégrement les 500 pages. "Si la collection "Encyclopédie Delmas" tend depuis cinq ans vers plus de professionnalisation, la collection "Delmas express" reste plus particulièrement destinée au grand public", précise Hani Féghali, directeur éditorial des ouvrages professionnels. Le positionnement est identique chez Francis Lefebvre avec quelques "Guides pratiques" dédiés au logement ou à l’épargne/assurance-vie. "On s’adresse à des gens qui dans leur activité professionnelle ont été en situation d’utiliser nos produits et qui nous connaissent, confie Renaud Lefebvre, gérant des éditions Francis Lefebvre. Ils achètent nos titres quand ils font face à des enjeux importants. Nous ne sommes pas sur le segment le plus large du marché du droit pratique."

Contenus numériques

Eyrolles publie peu de nouveautés, préfèrant mettre l’accent sur les meilleurs titres du fonds, par exemple sur la SCI ou le droit du travail. "Nous réalisons un important travail de mise à jour pour toujours coller à l’actualité, explique Marguerite Cardoso. C’est la clé pour garder des volumes de vente corrects." L’éditeur annonce seulement deux nouveautés d’ici au premier semestre 2017. De même, Vuibert entretient un large fonds dans le domaine de l’immobilier en partenariat avec l’Association des responsables de copropriétés, mais le droit pratique "n’est pas un axe majeur de développement", selon le directeur François Cohen.

C’est plutôt du côté de l’innovation technologique qu’il faut se tourner pour dynamiser les ventes. Prat y croit, qui teste à la rentrée deux nouvelles formules pour deux titres distincts. En complément de Transmettre ou reprendre une entreprise, l’éditeur propose des contenus numériques (témoignages vidéo d’entrepreneurs) accessibles via un QR code. Quant à la 9e édition d’Indépendant, auto-entrepreneur, EIRL, sa version numérique est offerte avec la version papier. Pour coller au plus près de l’actualité juridique, Prat a aussi décidé de millésimer l’ensemble de ses collections à compter de cette année.

02.09 2016

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