Décision de justice

La protection des traductions n'est pas une évidence (1/2)

La protection des traductions n'est pas une évidence (1/2)

La traduction est-elle protégeable? Ce n'est plus certain depuis une décision de justice récente.

Le 29 juin 2021, la Cour d’appel de Paris a rendu  une décision marquante et inédite, dans un litige opposant une maison d’édition à un traducteur [1].

L’affaire était complexe et portait sur la rupture des liens contractuels. Mais l’arrêt contient des « considérants » particulièrement intéressants car il est jugé que la traduction en cause n’est pas protégée par le droit d’auteur, revenant ainsi sur une jurisprudence considérée jusqu’alors comme constante.


A la recherche de l'originalité perdue

Commençons par examiner ce que soulignent les juges de la Cour d’appel de Paris. Les magistrats relèvent que « s’il apparaît, en l’espèce, que M. B. a procédé, dans son travail de traduction, à de multiples choix lexicaux, grammaticaux, documentaires et stylistiques, ce qui est attendu de tout traducteur, les choix qu’il revendique relèvent d’un savoir-faire (ainsi, typiquement, les « choix lexicaux ponctuels singuliers ») et témoignent de son érudition (« prise en compte de l’histoire littéraire ») et de sa parfaite connaissance du sujet traité, sans pour autant être le signe d’un effort créatif ou d’une démarche subjective qui seraient révélateurs de l’empreinte de sa personnalité. Ainsi, alors que l’on peine à comprendre ce que recouvre la « cohérence stylistique » alléguée, le choix d’une « ponctuation très marquée » est défini par rapport au but poursuivi (permettre la meilleure lecture possible des phrases complexes) et revêt dès lors un caractère fonctionnel évident. Le recours a? des termes précieux - au demeurant reproche? par l’éditeur qui a fait valoir au traducteur, en août 2010, que l’anglais de (l’auteur) était au contraire « brut » - ou rares (« apparier », « être au principe », « au vrai »...) ou au contraire d’une grande banalité (« en raison de », « en tant que », « ainsi que », « faire écho », « saisir », « ressaisir », « donner a? », « monde d’ici-bas »...), de même que le choix de convertir le prétérit de l’anglais en passé simple en français ou l’emploi de l’infinitif de narration, ou encore l’usage fréquent de l’adverbe « comme » ou du pronom relatif « lequel » (au lieu de « qui »), ne peuvent être suffisants pour démontrer l’originalité alléguée. Quant au choix de rendre le texte plus lisible et d’en élucider le sens, également mis en avant par l’appelant, il sera relevé qu’en août 2010, l’éditeur a reproché à M. B. d’avoir à plusieurs reprises modifié le texte (…), d’avoir remis une traduction trop « diluée », à l’opposé du style plus direct (…), et d’avoir intégré de nombreuses références dans le texte, ce qui avait pour effet, selon lui, de « gêner considérablement la lecture, déjà complexe de l’ensemble », et suggéré de supprimer des notes de bas de page, de sorte que M. B. ne peut utilement se prévaloir, au titre de l’originalité de sa traduction, de ce qui lui a valu les reproches de l’éditeur. Enfin, la comparaison à laquelle se livre M. B. de sa traduction des deux premiers chapitres de l’ouvrage (…) avec celle des EDITIONS X montre certes des différences mais ne permet pas de conclure pour autant que ces différences feraient de la traduction de M. B. une oeuvre originale, éligible à la protection du droit d’auteur.

Ainsi, et alors que la traduction proposée par M. B. a été critiquée à plusieurs égards par l’éditeur qui a finalement choisi (…) de recourir à un autre traducteur, l’appelant échoue a? démontrer que sa traduction révèle l’empreinte de sa personnalité et peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur 
». 

Cette fermeté peut surprendre. Ces dernières années, il ne faisait presque aucun doute qu’une traduction était protégeable, donc protégée in fine en cas de litige. Juges et commentateurs semblaient avoir oublié la règle de base de la propriété littéraire et artistique,  aux termes de laquelle le droit d’auteur ne couvre ni une transcription brute – mot à mot – ni en un pur travail technique – tel qu’une machine pourrait le réaliser. 

Les traducteurs bénéficiaient ainsi d’un statut juridique très favorable, sans distinction entre ceux qui avaient conçu une véritable œuvre et ceux qui se contentaient d’un verbiage sans âme. L’éditeur qui, soucieux de la qualité de ses livres, passait outre cet état du droit s’exposait à de sérieux et coûteux déboires.
 
(à suivre)
 
[1] Je me dois de préciser ici que cette affaire a été plaidée par mon cabinet, mais que, aucun pourvoi n’ayant été formé contre l’arrêt du 29 juin 2021, celui-ci est devenu définitif.

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