Décision de justice

La protection des traductions n'est pas une évidence (2/2)

La protection des traductions n'est pas une évidence (2/2)

Droit d'auteur, droit moral, droit au respect de l'œuvre : la traduction entraine des obligations pour les traducteurs comme pour les éditeurs.

(suite de la première partie)
                                                                                                                 
 
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 29 juin 2021 et refusant la protection au traducteur d’un livre va à l’encontre d’une quasi-tradition instaurée par le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).   

Rappelons en effet que l’article L. 112-3 du CPI dispose expressément que « les auteurs de traductions (…), des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ».

Cette protection par le droit de la propriété littéraire et artistique peut même s’étendre jusqu’au titre choisi par le traducteur, si celui-ci a fait preuve d’originalité. 
Dans une affaire retentissante jugée en 1952, le tribunal de commerce de Paris a ainsi condamné Gibert Jeune pour avoir repris sans autorisation l’expression « Les Hauts de Hurlevent » sur un bandeau de promotion, en vue d’aider à l’écoulement d’un stock du célèbre roman. Les magistrats ont souligné que la traduction en vente boulevard Saint-Michel n’avait pas été éditée originellement sous cet intitulé : ce titre n’est pas la simple transcription en français de Wuthering Heights mais constitue bel et bien une véritable création due à un autre traducteur.

Traducteurs auteurs

Face à cette reconnaissance du rôle des traducteurs par la jurisprudence, le Syndicat national de l’édition a d’ailleurs conclu un code des usages relatif à la traduction de littérature générale, avec la Société des gens de lettres de France, l’Association des traducteurs littéraires de France et la Société française des traducteurs.

La disparue et sourcilleuse (également mal gérée et peu regrettée) Association générale pour la sécurité sociale des auteurs (la fameuse AGESSA) reconnaissait elle-même que les traducteurs d’œuvres littéraires et scientifiques sont couverts par le régime particulier des auteurs.

Et les mécanismes du droit d’auteur à la française s’appliquaient presque sans discussion.

Prenons pour exemple le droit au respect de l’œuvre, un des attributs du droit moral des auteurs. La Cour d’appel de Paris a rappelé à ce titre, en 1988, qu’aucune modification du texte remis n’est possible sans l’accord du traducteur. La seule possibilité pour l’éditeur reste d’avoir prévu expressément au contrat de traduction une clause précisant les critères en vertu desquels il peut refuser la traduction. De même, il est souvent prudent de part et d’autre d’envisager en détails la procédure à suivre si la traduction nécessite d’être revue.

Mais le traducteur étant au service d’une œuvre dite « première », il n’en reste pas moins soumis à un certain contrôle de la part de l’écrivain et de ses représentants que sont les éditeurs ou les agents. C’est ainsi qu’il a déjà été jugé que la publication d’une mauvaise traduction viole le droit moral et peut à ce titre être sanctionnée.
Il a également été valablement admis que soit prévue par contrat l’obligation de soumettre la traduction à l’auteur d’origine : toute défaillance pourra être analysée comme une atteinte à ce même droit moral.

Le traducteur bénéficie également du droit au respect de son nom. Dès 1969, la cour d’appel de Paris a d’ailleurs estimé que la citation d’une traduction doit être accompagnée du nom du traducteur en sus de celui de l’auteur d’origine.

Obligations de l'éditeur

Cette même juridiction a surtout rendu, le 20 janvier 1997, un arrêt particulièrement rigoureux dans une affaire opposant une maison d’édition à une traductrice, qui agissait pourtant près de treize ans après les faits litigieux. L’éditeur a été sanctionné pour avoir mentionné le nom de la traductrice sur la seule page de titre et « en petits caractères ». Les magistrats ont relevé « qu’il ne saurait être contesté que l’obligation pour l’éditeur tenant au respect du nom d’un traducteur revêt pour celui-ci un intérêt primordial dans la mesure où elle lui permet d’une part, de recueillir auprès des lecteurs l’attention légitimement due à celui sans lequel la divulgation d’une œuvre étrangère serait impossible et d’autre part, de se faire connaître et reconnaître du monde de l’édition afin d’y exercer dans les meilleures conditions possibles sa fonction ». La chose est loin d'être entendue puisque, par exemple, à l'occasion de la dernière journée mondiale de la traduction, qui a eu lieu 30 septembre 2021, plus de 400 auteurs ont indiqué, dans une lettre ouverte, qu'ils exigeraient à leurs éditeurs que leur nom soir porté sur la couverture.

La rémunération du traducteur peut en revanche, dans certaines limites, être dérogatoire du principe juridique dit de « proportionnalité aux recettes d’exploitation de l’œuvre » et qui se concrétise par l’obligation de verser aux auteurs un pourcentage sur les ventes. L’article L. 132-6 du CPI prévoit en effet, par exception, qu’« en ce qui concerne l’édition de librairie », il peut y avoir « rémunération forfaitaire pour la première édition, avec l’accord formellement exprimé (…) à la demande du traducteur pour les traductions ».

La jurisprudence nouvelle issue de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 29 juin 2021 ne remet pas en cause tout cet édifice. Elle revient en revanche aux critères fondamentaux de la protection par le droit d’auteur.

Et cet arrêt n’est en réalité pas si surprenant quand on le rapproche de celui, plus ancien, de la Cour d’appel de Grenoble. Celle-ci avait fermement jugé, en 1981, que l’agencement en deux livres d’une traduction de Saint Thomas ne pouvait être reconnu comme original car il était imposé par la structure de l’œuvre de départ.
 
 

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