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L'adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires : pratiques contractuelles et contentieuses (I/V)

Leonardo DiCaprio est 'The Great Gatsby' - Photo

L'adaptation audiovisuelle des œuvres littéraires : pratiques contractuelles et contentieuses (I/V)

Le paysage de l’offre audiovisuelle est, en grande majorité marqué par les adaptations, sur le grand écran, d’œuvres littéraires ou par la scénarisation du destin d’une personne célèbre qui a marqué l’histoire (le « biopic »). L’adaptation audiovisuelle d’œuvres littéraires – en films, en téléflims, de plus en plus en documentaires et surtout en séries - est devenue si courante qu’une pratique contractuelle a émergé, avec un certain nombre d’enjeux juridiques et financiers. D’où ce panorama quasi-exhaustif des enjeux ce de lien essentiel entre deux économiques culturelles de plus en plus en symbiose.

Une œuvre dérivée sans dérives contractuelles ! L’œuvre audiovisuelle, tout comme l’œuvre littéraire, sont des formes de création « traditionnelles » expressément énumérées par le Code de la propriété intellectuelle (CPI).

Ainsi, l’adaptation audiovisuelle d’une œuvre littéraire obéit au régime de l’œuvre dite « composite » ou « dérivée », définie par l’article L. 113-2 du CPI. En ce qu’elle incorpore, dans son scénario, une œuvre préexistante protégée par le droit d’auteur, la production d’une adaptation audiovisuelle suppose de recueillir l’autorisation du titulaire des droits de l’œuvre originelle. A cet égard, peut-être pour souligner l’importance culturelle des adaptations d’œuvres préexistantes au cinéma, une disposition spécifique du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « lorsque l’œuvre audiovisuelle est tirée d’une œuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle » (article L. 113-7 du Code de la propriété intellectuelle).

La qualification d’œuvre composite fait l’objet d’une jurisprudence abondante. En effet, tant d’œuvres cinématographiques recèlent de fragments littéraires inavoués, et tant d’écrivains cherchent, par un procès en contrefaçon, à imposer aux réalisateurs un monopole sur le traitement créatif d’un thème ou d’une idée.

C’est l’occasion, pour les juges, de rappeler des principes fondamentaux du droit d’auteur : si les idées sont de libres parcours, et si un auteur ne peut notamment revendiquer un monopole sur un événement historique ou dépourvu d’originalité, les créations de forme originale, quant à elles, ne peuvent être reprises sans l’autorisation de leur auteur.

Intervient alors le principal « outil juridique » relatif à l’adaptation audiovisuelle : le contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle d’une œuvre littéraire, résultat d’une négociation intervenant dans le cadre d’un rapport de force plus ou moins équilibré entre le producteur, l’éditeur et/ou l’auteur de l’œuvre littéraire.

Le trio contractuel : auteur-éditeur-producteur

Il faudrait mal connaître le monde de l’édition pour penser que le titulaire des droits de l’œuvre littéraire est, purement et simplement, l’auteur de l’œuvre littéraire. Le mécanisme est peu ou prou le  même que pour une œuvre audiovisuelle.

Si, par principe, l’auteur est investi des prérogatives morales et patrimoniales du droit d’auteur afférentes à son œuvre dès la création de celle-ci, il est de pratique courante que les auteurs cèdent leurs droits d’adaptation audiovisuelle à leurs éditeurs, au moment de la signature du contrat d’édition, dans un contrat qui doit être nécessairement distinct.

Ce faisant, sauf à ce que l’ouvrage en cause soit autoédité, les producteurs se tournent le plus souvent vers les éditeurs-cessionnaires des droits de l’auteur pour la conclusion du contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle.

L’abondance de nouvelles chaînes de télévision et de plateformes, comme leur soif de nouveaux programmes, l’émergence de produits multimédias ou encore la relative bonne santé du cinéma français, incitent les producteurs à se tourner vers les catalogues d’éditeurs.

Qu’il s’agisse de l’adaptation d’une œuvre littéraire ou de la déclinaison de livres pratiques, l’importance des sommes en jeu dans une économie de l’audiovisuel est bien différente de celle du livre – les budgets y sont notamment démultipliés – rendant d’autant plus nécessaire une vigilance accrue pour l’éditeur dans la négociation des contrats avec les producteurs.

Avant de se lancer dans une négociation avec un producteur, l’éditeur s’assurera bien entendu qu’il a valablement acquis auprès de l’auteur du livre les droits d’adaptation audiovisuelle pour le mode d’exploitation envisagé (téléfilm, vidéo, etc.).

La Cour de cassation a examiné, le 13 novembre 2014, le statut des droits d’adaptation audiovisuelle de deux œuvres de Charlotte Delbo. Les juges ont notamment examiné le cas de l’éditeur qui avait délivré des autorisations d’adaptation alors qu’il n’en avait pas la possibilité.

En France, la loi exige que la cession des droits d’adaptation audiovisuelle, signée en général entre l’auteur et son éditeur, fasse l’objet d’un contrat séparé du contrat d’édition proprement dit. Le législateur n’a pas pour autant estimé nécessaire de limiter la liberté des cocontractants par autant de contraintes que pour le contrat d’édition. Seul l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose : «Les cessions portant sur les droits d’adaptation audiovisuelle doivent faire l’objet d’un contrat écrit sur un document distinct du contrat relatif à l’édition proprement dite de l’œuvre imprimée. Le bénéficiaire de la cession s’engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l’auteur, en cas d’adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues.»

En séparant adaptation audiovisuelle et édition proprement dite, il s’agissait, dans l’esprit du législateur, de faire prendre conscience à l’auteur de l’importance croissante des droits d’adaptation audiovisuelle. Deux contrats écrits distincts sont donc nécessaires et il semblerait qu’a priori rien ne doive les relier : si l’un des contrats est résolu ou résilié, l’autre ne le sera pas automatiquement.

De plus, l’éditeur prendra garde aux droits préalablement cédés sur le même livre. S’il a repris le fonds d’un confrère, il s’assurera qu’une exclusivité, même une simple option, n’a pas été précédemment conclue. Malheur à celui qui vendrait à un producteur des droits dont il ne dispose plus. Il existe à cet effet un Registre public de la cinématographie et de l’audiovisuel (RPCA), dépendant du Centre national de la cinématographie, où sont consultables tous les contrats liés aux films de long-métrage et à beaucoup d’autres œuvres audiovisuelles.

Toutefois, cette cession n’emporte pas exclusion de l’auteur du processus de négociation, de conclusion du contrat et de rémunération sur le produit de l’exploitation des recettes de l’adaptation réalisée à partir de son ouvrage.

Qu’il ait ou non cédé ses droits d’adaptation audiovisuelle à son éditeur, l’auteur pourra toujours réclamer des redevances sur les recettes liées à l’exploitation du film.

En pratique, il est souvent conseillé aux auteurs de conserver leurs droits d’adaptation audiovisuelle afin d’être en mesure de vendre ensuite directement leurs droits avec les producteurs.

(à suivre)

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