24 août > Essai Russie > Maureen Demidoff

Maureen Demidoff les a laissés parler. Et tout est revenu : Staline, Gorbatchev, Poutine, la terreur, l’ouverture chaotique libérale, la précarité. Selon leur génération, les quinze femmes, plus Mikhaïl, racontent la Russie d’aujourd’hui. "Je viens de trois pays, celui où je vis actuellement n’est pas celui où je suis né et n’est pas celui où j’ai grandi." Ludmila, Tatiana, Elena et les autres traduisent bien cette société marquée par des ruptures, souvent brutales, toujours génératrices de séquelles.

Trois générations de femmes témoignent ici à la journaliste Maureen Demidoff qui a vécu huit ans à Moscou où elle a fondé en 2010 le site Russieinfo.com. On comprend immédiatement que le consensus ne fait pas partie du tempérament russe. Surtout avec les hommes. "Cela fait trois générations qu’il n’y a plus de père, explique Karina, parce qu’il y a des guerres, des divorces et des alcooliques qui meurent ou désertent les foyers." L’alcool demeure le fléau national qui détruit les couples. Avec les prisons et les accidents, la vodka est responsable de ce Tchernobyl sociétal.

Dans ce contexte difficile, les relations hommes-femmes ont changé. Les femmes portent tout, trop, tout le temps. Alors forcément, elles s’en plaignent. Elles rêvent du mâle dominateur qu’elles pensent trouver chez leur président qui montre volontiers ses muscles. Mais Poutine a beau avoir ripoliné la société d’une épaisse couche de patriotisme, les fêlures se voient encore. Elles se manifestent dans ces portraits intimistes. En creux, on y voit une Russie quotidienne et vacillante qui craint le rejet de l’Occident.

Ludmila avait 11 ans à la mort de Staline et elle n’a jamais connu son père mort en 1945. Elle se souvient des années noires. "Le suicide n’existait pas de notre temps. Il fallait tenir." C’est elle qui explique le titre du livre par un proverbe russe. "Les Romains disaient que l’homme est la tête et la femme est le cou. La tête ne bouge que grâce au cou qui la commande, et ne regarde que la direction que le cou indique." L’homme apparaît bien ici comme le symptôme de cette société russe sans que l’on ait véritablement identifié la maladie. "C’est dur d’être un homme en Russie." Elena a raison. D’autant qu’un mot n’est jamais prononcé par ces femmes : amour. L. L.

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