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Run : « Je pensais Rue de Sèvres poussiéreux, mais ils sont un peu punk dans l’âme ! »

Run et Nadia Gibert - Photo DR

Run : « Je pensais Rue de Sèvres poussiéreux, mais ils sont un peu punk dans l’âme ! »

Le Label 619, chez Ankama, c’est Mutafukaz, Shangri-La, Freak’s Squeele… Un catalogue à nul autre pareil, proposant des BD de genre, rageuses mais pas bas de plafond. Indépendant depuis 2019, le Label 619 s’est rapproché de Rue de Sèvres (groupe École des loisirs) pour poursuivre son développement. Run, son fondateur, et Nadia Gibert, éditrice chez Rue de Sèvres, expliquent ce partenariat qui ne semblait pas naturel à première vue. 

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Par Benjamin Roure,
Créé le 05.01.2022 à 17h00

Le Label 619 s’était émancipé d’Ankama en 2019, tout en continuant de sortir des nouveautés avec la maison roubaisienne. Pourquoi rechercher un nouveau partenaire d’édition ?
 
Run : Quand nous avons quitté Ankama en 2019, c’était un virage important, car j’étais salarié d’Ankama édition, maison que j’avais cofondée avec Tot. Quitter cette maison n’était pas anodin, mais c’était important pour que le Label 619 continue comme je l’avais imaginé. Avec Mathieu Bablet, Guillaume Singelin et Florent Maudoux, tous auteurs du label, nous avons décidé de partager sa direction. Nous avons même un temps pensé à fonder notre propre maison d’édition : mais nous avons vite éteint cette belle utopie, car nous restons des créatifs, et être éditeur est un autre métier, à part entière. Il nous fallait un partenaire solide.
 
Nadia Gibert : Nous suivions le travail du Label 619 depuis longtemps, même du temps où Louis Delas et moi-même étions chez Casterman. Mais nous ne savions pas très bien qui se cachait derrière ces BD pétries de culture pop, qui divertissaient tout en donnant à réfléchir. Quand Rue de Sèvres s’est lancé en 2013, j’avais déjà envie de développer ce genre de choses… tout en sachant que je ne saurais pas le faire. Les années ont passé et quand on su que le Label 619 cherchait un partenaire, c’est devenu une évidence pour nous.
 
Était-ce une évidence aussi pour vous, Run ?
 
Run : Je dois reconnaître que…non ! Plusieurs maisons d’édition nous avaient sollicités et nous avaient déjà présenté leur projet, quand j’ai appris que Rue de Sèvres cherchait à se diversifier. Nous nous sommes vus dès que possible, mais dans mon esprit, c’était par acquis de conscience car Rue de Sèvres faisait figure d’outsider… Je me souviens que je m’étais dit, avant le rendez-vous, que ça m’ennuyerait que ça se passe bien, car j’avais déjà d’autres plans en tête. Mais la rencontre humaine a tout changé, et nous avons découvert des professionnels qui connaissaient nos BD – ce qui n’était pas le cas de certains concurrents – et qui avaient un amour du livre et de l’édition. Notre retour à nous quatre a été unanime : c’était là qu’il fallait aller.
 
Nadia Gibert : Nous voulions leur montrer qui nous étions, notre vision et aussi notre capacité à mobiliser toute la maison pour servir un projet. Et surtout leur assurer que nous ne souhaitions en aucun cas dénaturer le Label, qui était très identifié par les lecteurs, les libraires, et même par de nombreux auteurs, qui se sont réjouis de le voir arriver aux côtés de Rue de Sèvres.
 
Cette arrivée a pu surprendre, car Rue de Sèvres renvoie une image plus classique de la BD, plus sage peut-être. Bien loin de celle du Label 619.
 
Nadia Gibert : Pourtant, énormément d’auteurs de franco-belge sont fans du Label 619 !
 
Run : Nous ne nous rendions pas vraiment compte que nous étions suivis à ce point par le milieu. Même si, de l’extérieur, je crois qu’on nous voyait comme un club de bikers, un truc fermé, un peu à part… Et je crois que cette surprise voire cette incompréhension suscitée auprès de certains me plaît bien. On n’est pas forcément là où on nous attend, et c’est positif. J’avoue avoir pensé, avant, que Rue de Sèvres était un truc un peu poussiéreux, mais j’ai découvert que la maison était un peu punk dans l’âme !
 
Nadia Gibert : C’est vrai que pendant longtemps, l’École des loisirs a construit son petit village dans son coin, avec un côté très singulier… Publier Tomi Ungerer ou Maurice Sendak dans les années 1960, ce n’était pas si évident. Aujourd’hui, le Label 619, c’est très haut de gamme et c’est ce que nous voulons faire.
 
Run : Le vernis pop culture du label a pu le desservir : oui, on aime les histoires de bagarre, mais pas seulement. Moi, ce que je vise, c’est de proposer des BD qui ouvrent des pistes de réflexion aux lecteurs, sans jugement, pour éviter qu’ils restent cloisonnés dans leurs idées reçues.
 
Concrètement, comment ce rapprochement est-il orchestré ?
 
Nadia Gibert : Le Label 619 reste indépendant à travers un contrat d’édition avec Rue de Sèvres. Run et ses co-éditeurs seront déchargés de nombreuses tâches liées à la communication, au marketing ou au volet commercial notamment, mais ils restent maîtres de leurs projets.
 
Run : Côté fabrication, qui est quelque chose qui nous tient énormément à cœur, comme à nos lecteurs, nous allons être en mesure de proposer une qualité équivalente voire meilleure. J’aime toujours aller au calage chez l’imprimeur et ça va redevenir possible avec Rue de Sèvres.
 
Nadia Gibert : Nous sommes en phase de rodage, nous apprenons à travailler ensemble, mais tout va assez vite. Nous publions les premiers titres en janvier, et trois ou quatre autres au second semestre. L’idée n’est pas de faire gonfler nos volumes de production : l’objectif de Rue de Sèvres a toujours été de rester dans une jauge de 35 à 40 titres par an, et il se trouve que nous sommes plutôt dans la fourchette basse. Le Label 619 tournera entre 8 et 12 titres annuels.
 
Run : Ce principe de « faire peu mais bien » me convient tout à fait. Car j’aime m’investir dans chaque projet, et transmettre un peu de mon expérience aux jeunes auteurs qui nous rejoignent. Car j’apprends aussi beaucoup d’eux, on se forme ensemble.
 
Nadia Gibert : Notre objectif est que le Label 619 gagne une aura plus grande, et un public plus large aussi. En laissant Run et ses auteurs se concentrer sur la création, nous pensons pouvoir aider le Label à évoluer pour toucher d’autres lecteurs.
 
Mais en tant qu’éditrice, vous n’auriez pas envie de susciter des projets ?
 
Nadia Gibert : Je ne veux surtout pas aller à contre-courant de ce qu’imaginent Run et ses complices. Néanmoins, il est certain que ce rapprochement va générer, au bout d’un moment, de nouvelles envies de part et d’autre. Des auteurs Rue de Sèvres pourraient par exemple avoir envie de soumettre des projets au Label. Il faut créer une osmose.
 
Le développement du Label passe aussi par la vente de droits et de produits dérivés.
 
Run : Oui, et on est assez demandeurs de cela, car nos licences dorment un peu alors qu’on aime quand nos créations vivent en dehors de la bande dessinée. Même si le fonds de catalogue reste pour le moment chez Ankama, se rapprocher de Rue de Sèvres est un bon levier pour développer nos univers à l’étranger ou vers d’autres médias. Tout cela va se mettre en place : là, on est encore dans le tunnel d’un travail intense, car tout est allé très vite depuis la signature du rapprochement. Mais on en voit le bout, et on a hâte de constater le résultat.

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