Propriété intellectuelle

Tatouage et droit d'auteur

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Tatouage et droit d'auteur

Dans le droit français, tout est fait pour que jamais le tatoueur, qui a rang d’auteur, ne cède quoi que ce soit à son insu.

Le succès du tatouage ne se dément pas. On estime qu’un français sur cinq est tatoué, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.

Les contentieux pullulent à l’aube du nombre de clichés publiés sur les réseaux sociaux - sans même évoquer la délicate question de la propriété comme de la cession de la peau humaine -, démontrant que les livres sur ce sujet  nécessitent un traitement juridique attentif.

Les dessins créés par les tatoueurs sont en effet protégeables par le droit d'auteur. La loi - et plus exactement le Code de la propriété intellectuelle - précise que sont notamment considérées comme des œuvres couvertes par le droit de la propriété littéraire et artistique « les œuvres de dessin, de peinture propriété intellectuelle e, (...), de gravure, (...), les illustrations », ainsi que « les œuvres graphiques et typographiques ». Et les tatouages sont assimilés à de telles œuvres par les juridictions.

Et, contrairement à une croyance bien ancrée dans l’inconscient collectif du grand public, la protection par le droit d’auteur ne nécessite l’accomplissement d’aucune formalité de dépôt et intervient du seul fait de la création.

Originalité

La seule condition véritablement requise pour que l'œuvre du tatoueur soit protégée est qu'elle soit originale, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas purement et simplement recopiée sur un dessin déjà existant et créée par un autre.

Mais un tatouage qui s'inspire d'un tableau, d'un logo ou d'une photographie, peut être original si le tatoueur a su apporter sa touche personnelle et a exercé des choix, de couleurs par exemple, qui lui sont propres. Ces modifications peuvent être suffisantes pour considérer que le tatoueur a créé une nouvelle œuvre, protégée en tant que telle, et qu’il est donc légitime à céder.

Le tatouage ainsi réalisé à partir d'une œuvre préexistante est qualifié juridiquement d'œuvre "dérivée" ou "composite". Et les textes législatifs précisent que "l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante". Cela signifie que le second créateur - en l'occurrence le tatoueur - et non celui de l’œuvre de départ, est propriétaire des droits sur l’œuvre finale.

Toutefois, il doit en théorie s’être auparavant assuré de la possibilité d’utiliser l’œuvre première. Celle-ci peut être tombée dans le domaine public, auquel cas la seule précaution consiste à éviter de bafouer le droit moral du premier auteur ; ou bien les droits patrimoniaux sont toujours en vigueur et il faudra obtenir l’autorisation de celui qui possède les droits sur l’œuvre de départ. Ce dernier peut d’ailleurs prétendre à un intéressement au succès de l’œuvre nouvelle que constitue alors le tatouage.

Avant même de céder le droit de reproduire son œuvre, le tatoueur doit, en pur droit, s’enquérir des droits existants sur le dessin que son client lui demande de réaliser.

Subtilités

Une autorisation est donc en théorie nécessaire à partir du moment où le tatouage est effectué dans une optique commerciale, que ce soit pour être reproduit sur le corps d'un client ou a fortiori pour être recopié sur des T-shirts, en autocollants ou dans des ouvrages de librairie.

Néanmoins certaines sociétés proposent des planches de modèles qui sont garantis "libres de droits" et peuvent donc être en théorie utilisés sans crainte si ces sociétés ne les ont pas elles-mêmes recopiés illicitement...

Si, d’instinct, l’achat d’un livre ou d’un disque donne l’impression d’acquérir une œuvre, d’en devenir le propriétaire, il est toujours utile de rappeler que le transfert de propriété ne s’opère que sur le support matériel nécessaire à la fixation et divulgation de l’œuvre, sans en emporter avec la cession des droits d’exploitation, et encore moins des droits moraux. Le même raisonnement s’applique aux tatouages.

Le Code de la propriété intellectuelle dispose expressément que « La propriété incorporelle (...) est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code ».

Le principe est donc clair : la propriété matérielle du support d’une œuvre n’emporte en rien la propriété des droits d’auteur. Le client qui repart avec une œuvre protégée sur l'épiderme ne pourra donc pas en autoriser la reproduction. Le tatoueur conserve tous ses droits de propriété littéraire et artistique.

Le droit moral, composante extrapatrimoniale du droit d’auteur, n’est par définition pas cessible. Ainsi le contrat de cession qui porterait sur le droit à la paternité de l’œuvre, le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, ou le droit de divulgation, serait nul et réputé non écrit. Le simple fait pour un tatouer d’accepter de tatouer son œuvre n’investit donc pas le client d’un droit de divulgation de l’œuvre sur d’autres supports. A titre d’exemple, la photographie d’un modèle tatoué constitue une œuvre composite, à une  divulgation sous une forme à laquelle le tatoueur pourra par conséquent déjà objecter sur le fondement du droit moral.

Encadré

Il est cependant possible au tatoueur de céder ses droits patrimoniaux.

Mais, pour être valable, cette cession devra se faire dans un acte écrit. Cet accord précisera au mieux les détails de la cession de droits pour ce qui concerne les supports autorisés, la durée, les territoires, etc. Un principe essentiel domine en effet le régime des droits d’auteur : Ne sont cédés par l'auteur que les droits mentionnés expressément dans le contrat. Et toute clause ambiguë jouera en faveur de l'auteur.

Il n’existe donc pas de présomption de cession, y compris, et celui-ci est courant, dans le cas d’un grand salon de tatouage où les artistes sont salariés. Le patron d’un grand atelier de tatouage n’est donc pas fondé à exploiter les créations de ses salariés pour son compte. Ainsi en dispose l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) : « L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code ».

La cession des droits d’auteur d’un salarié au profit de son employeur est possible. Mais les conditions d’un telle clause sont, elles, prévues par l’article L131-3 du CPI, en application duquel la jurisprudence précise que doivent être définies l’étendue du domaine d’exploitation cédé, sa destination et limitation dans le temps. Tout est donc fait pour que jamais le tatoueur, qui a rang d’auteur, ne cède quoi que ce soit à son insu.

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