Bon sang ne saurait mentir. Bon ou mauvais, d’ailleurs. Alors qu’Eva a été abandonnée dès sa naissance dans une ville du Midwest américain par sa mère sommelière, son père, Lars, qui décédera prématurément, a eu le temps de lui inculquer la passion des goûts, des saveurs, des produits les meilleurs, de la cuisine comme un rempart contre la tristesse et l’exil. A l’âge adulte (mais le sera-t-elle jamais, orpheline égarée dans sa solitude ?), Eva surpassera toutes les attentes, devenant un chef dont la justesse du palais est proverbiale, tandis que son dégoût professé pour toute médiatisation lui donne une aura de mystère d’autant plus plaisante qu’elle semble ne procéder d’aucun calcul ni d’aucune pose. Jeune femme forte et de caractère, Eva ne laisse personne indifférent. Elle génère dans son sillage autant de jalousie que d’admiration, traçant sa route d’excellence en essayant de ne jamais s’attarder ni sur son chagrin ni sur ses manques.
Les cuisines du grand Midwest est le premier roman de J. Ryan Stradal, un éditeur et producteur de télévision vivant à Los Angeles, mais ayant lui-même grandi dans le Midwest de son roman. Car celui-ci n’est pas qu’un portrait de cette femme puissante et blessée qu’est Eva, mais aussi un portrait de cette région, déchirée entre ses traditions, fussent-elles culinaires, et la mondialisation aveugle. A l’arrivée, le menu présenté au lecteur est celui d’un de ces restaurants bistronomiques où se réinventent les fondamentaux de la cuisine, et ici ceux du roman réaliste. O. M.
