La narratrice de Célèbre est une chanteuse française qui est devenue une star mondiale (une sorte de mixte d’Angèle, Céline Dion et Taylor Swift, par exemple). Pourquoi avoir choisi une chanteuse comme emblème de la célébrité contemporaine ?
En effet, je n’ai pas choisi une compositrice-interprète par hasard ! Contrairement aux actrices qui sont - pour aller vite - au service du projet d’un réalisateur, Cléo est une artiste en plein dans la création. Elle écrit elle-même toutes ses chansons. Et contrairement au roman qui existe très bien sans son auteur, le musicien incarne ses créations dans son corps et dans sa voix. D’une certaine manière, Cléo est sa propre œuvre d’art… Cette personnification me fascine, et c’est la condition de l’ultra célébrité. Pas d’ultra célébrité sans culte de la personnalité.
En cela, Cléo est un emblème de la célébrité contemporaine. À l’image de Taylor Swift, Billie Eilish, Angèle, Dua Lipa… Elle est brillante, talentueuse, puissante, bosseuse, déterminée. J’insiste sur la nouveauté du phénomène : toutes les pop stars que je viens de citer écrivent leurs propres chansons, en maîtrise totale de leur carrière et leur image. Cette prise de pouvoir me semble ultra-contemporaine. On ne peut pas faire davantage 2024 !
Toutes les époques ont leurs idoles. La célébrité en elle-même est une question immémoriale (Achille préférait mourir sur le champ de bataille pour accéder à la gloire éternelle plutôt que de rentrer chez lui, vivre vieux et oublié de tous…). En revanche, les modes d’accès à la notoriété, ainsi que les personnes que l’on choisit comme célébrités : tout cela dit quelque chose d’une société et d’un moment dans l’Histoire. C’est précisément ce que j’ai essayé de capter avec Cléo.
Comme pour votre premier roman, Mon Mari (l’Iconoclaste) on peut parler pour Célèbre de « second degré dans le premier degré ». Le monologue intérieur des narratrices semble simple et cohérent, mais tissé d’énormités cyniques ou effrayantes qu’elles profèrent sur le ton de l’évidence. Cela correspond à votre vision des femmes tenues à se conformer à un schéma, mais qui n’en pensent pas moins, ou plus largement du genre humain… ou est-ce avant tout une forme d’humour assez noir ?
Cléo est une personnalité qui va jusqu’au bout de ce que l’ambition peut porter. Chez elle, tout est exacerbé, décuplé - les artistes vivent leurs émotions à mille à l’heure, on le ressent dans Cléo. C’était aussi le cas avec la protagoniste de Mon mari. En ce sens, j’aimerais que mes personnages soient des miroirs grossissants : le lecteur se reconnaît dans ces défauts, mis face à ses propres failles. J’espère que la catharsis a lieu… Et pour ça, l’humour est une arme littéraire extrêmement puissante.
En tant que romancière, je suis attirée par les contradictions, je crée à partir d’elles ; l’humain est mon terreau. On a tous, je crois, j’espère, des pensées cyniques, effrayantes, incorrectes. Or le roman n’est pas le lieu de la morale, mais de l’interrogation ; et le roman n’est pas là pour nous donner des personnes à admirer, mais des personnages à questionner. C’est la raison pour laquelle je plonge la tête la première dans ces monologues intérieurs ambigus et bien loin de la bienséance…
« La polysémie est l’une des grandes victoires du roman »
Le succès de votre premier roman fait que vous avez dû rencontrer de nombreuses lectrices et lecteurs… À quel degré avez-vous l’impression qu’elles et ils le lisent ?
C’est drôle, je ne crois pas qu’il y ait un degré de lecture plus juste qu’un autre, qu’il y ait une bonne manière de comprendre mes livres (pour le lecteur averti) et une mauvaise (pour le lecteur naïf). J’ai plutôt constaté qu’il y avait autant de lecteurs… que de lectures de mon texte. J’espère disparaître de mon roman - et laisser le lecteur se faire son propre avis. Et là, je rêve d’un festival d’interprétations ! Selon moi, la polysémie est l’une des grandes victoires du roman.
Votre éditrice, Sophie de Sivry, décédée récemment, a connu de très beaux succès avec votre roman ou le dernier de Jean-Baptiste Andrea. Qu’est-ce qui faisait sa patte ?
Sophie n’écoutait que son flair et son amour des textes. On parlait de premier degré tout à l’heure : c’est exactement cela. Un premier degré, presque une naïveté, un plaisir enfantin à éditer. Choisir de publier un roman avec le cœur, sans cynisme, sans snobisme, sans calcul… Publier parce qu’elle aime le texte, tout simplement. En cela, toute l’équipe de Sophie lui ressemble. Un mélange de perfectionnisme, de fantaisie et de beaux sentiments, dans le meilleur sens du terme. Je pourrais parler longtemps de l’Iconoclaste ! Leur attachement à la littérature, leur respect et leur admiration si profonds envers les libraires, leurs saines ambitions, leur grande générosité, leur droiture...
« La littérature est le grand amour de ma vie »
Après avoir été rédactrice en chef des podcasts du groupe NRJ, vous présentez cet été une émission musicale et littéraire sur France Inter. Quel est votre rapport à la radio ? A-t-il un lien avec la fluidité de votre écriture ? Vous a-t-elle appris à vous adresser à un large public par exemple ?
La radio est toujours allumée chez moi, et j’ai toujours un podcast dans mes écouteurs. Le son est une source d’information et d’inspiration. J’y puise beaucoup. La radio est un travail d’équipe, collectif, collégial. Chaque jour d’été quand j’arrive à la radio pour préparer mon émission, je me demande ce qui aura le plus de valeur pour l’auditeur, quel texte j’ai intérêt à diffuser au plus grand nombre, quelles musiques ont du sens sur une radio publique... Ce changement de paradigme est bon pour l’esprit, bon pour le moral - et absolument passionnant.
Mais la littérature est le grand amour de ma vie. Elle est le lieu de mon absolue liberté ; je suis la seule maître à bord, seule sur mon radeau au milieu de l’océan. Dans le roman, je n’écris pas pour les auditeurs, je suis dans un travail de la langue qui me transporte. Il s’agit d’un acte de création pure et d’imagination qui n’aura jamais d’égal à mes yeux.