Parmi tous les livres célébrant le centenaire d’A la recherche du temps perdu, voici le plus jouissif. Proustissimots, fruit du cerveau de Jacques Géraud, (normalien, agrégé, etc.) et auteur de livres improbables. Sur Proust, il récidive, et avait déjà commis des Proustites (P.O.L, 1991) et des Petits proustillants (Puf, 2005). Mais ce funambule du verbe à l’humour de khâgneux n’avait pas encore tout donné.
Le sous-titre du livre, 69 additifs à la Recherche du temps perdu, en laisse subodorer la forme. D’«Allogêne» à « Zigomars », un dictionnaire où Géraud soit invente des mots-valises, comme « rutabagages » : malles et impedimenta réservés aux rupins, «propagandhiste» : illuminé rasé à lunettes se baladant à moitié nu sur la plage de Balbeach, ou «xénophobic» : grapheur qui déteste les stylos-bille surtout d’origine étrangère ; soit en adopte d’autres déjà existants, en en pervertissant le sens : ainsi « khôl-girl » désignant une bayadère fardée, « éclopé », quelqu’un privé de ses cigarettes, ou encore « pinacothèque », une « enceinte dévolue aux ébats strictement masculins ». La thématique du livre, elle, on l’aura compris grâce au chiffre 69, étant ouvertement et exclusivement sexuelle.
Quoique maqué avec la peu farouche et très volage Titine, laquelle passe son temps à essayer de lui échapper pour vivre toutes les expériences érotiques possibles, le narrateur ne consomme pas cette union hétéro, bien plus tenté par les gays plaisirs, même s’il répugne à passer à l’acte et à assumer. Plus déluré et canaille que le vrai, le Marcel de Géraud appelle un site de rencontres trans d’une cabine téléphonique tandis que Titine se fait du bien toute seule, vole vers les USA après avoir piqué le sac Vuitton de sa mère et s’intéresse de très près au steward en kilt, découvre la techno grâce à Reynaldo (non pas un footballeur, mais Hahn, le compositeur)… Très porté vers l’analyse psychanalytique, il fantasme sur la mort de sa mère et de sa grand-mère trépassant dans des circonstances aussi originales qu’atroces, et, anachronique, mâche du chewing-gum en lisant Charlus Hebdo. C’est érudit, désopilant, romanesque. J.-C. P.