Internet, réseaux sociaux, jeux vidéo, smartphones, réalité virtuelle ou augmentée… La génération des "millenials" est née avec un usage quotidien des nouvelles technologies. Dans ce contexte, quelle place et combien de temps consacrent-ils à la lecture ? Le 33e Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil est l’occasion de faire un point sur les différentes études sur le sujet. La manifestation leur donne d’ailleurs toute son attention et a réalisé dans le cadre de "France à Francfort" la pertinente web série "Miroirs", dans laquelle treize auteurs pour la jeunesse et treize adolescents dialoguent sur la lecture et l’écriture. Tandis que de son côté l’association Lecture Jeunesse vient de lancer son Observatoire de la lecture des adolescents, dont le premier colloque a eu lieu le 16 novembre, sur le thème de l’accès aux sciences et de la construction d’une culture scientifique.

"Le temps de lecture - 3 heures par semaine, concentrées pour moitié sur le week-end - et le nombre de livres lus - 6 livres au cours des trois derniers mois, dont 4 dans le cadre des loisirs - rompent avec l’idée qu’ils ne lisent pas", commente Sylvie Vassallo, directrice du SLPJ 93, citant l’enquête sur "Les jeunes et la lecture", commandée par le Centre national du livre à Ipsos et dévoilée le 28 juin 2016 sur les pratiques des 7-19 ans. Balayant les idées reçues, les jeunes sont 89 % (des 7-19 ans) à lire, et 78 % à le faire en période de loisirs.

Pression pour la conformité

Reste qu’il faut comparer ces chiffres au temps consacré aux écrans. Les jeunes passent en moyenne 8 heures par semaine sur Internet, mais le nombre d’heures monte à 12 h 30 pour les adolescents, qui utilisent leur smartphone 12 heures par semaine. L’amitié tient une place plus importante dans leur vie que la lecture : ils sont 96 % à échanger au moins une fois par semaine avec leurs amis, 92 % à les voir au moins une fois par semaine et… 53 % à lire au moins une fois par semaine. Si les adolescents lisent moins que les plus jeunes, c’est parce que les livres sont concurrencés par d’autres activités. "L’adolescence est un âge grégaire, qui a besoin du groupe : c’est une phase nécessaire pour constituer son identité. Par ailleurs, ils subissent une forte pression pour qu’ils aient des activités de loisirs qui leur permettre d’être ensemble comme les téléphones portables, les jeux vidéo. Or la lecture reste une activité solitaire", explique la sociologue Sylvie Octobre, chargée d’étude au Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture. Elle ajoute : "Il y a aussi une pression pour la conformité : il faut avoir vu telle vidéo, écouté telle musique. Ça marginalise la lecture, qui relève de quelque chose de très personnel."

La même enquête révèle que les lycéens, plus autonomes, fréquentent moins les bibliothèques scolaires (48 % une fois par mois) et achètent les livres eux-mêmes en librairie (49 %). Les adolescents sont 67 % à préférer la lecture de romans, et ce pourcentage monte à 85 % pour les lectrices de plus de 15 ans. Leur palmarès mêle livres pour adultes et titres pour la jeunesse : Harry Potter, bien sûr, After, Twilight, Hunger games et les romans de Guillaume Musso. La science-fiction (51 %), les romans policiers (34 %) et les grands classiques (29 %) sont les genres les plus prisés. "Les adolescents lisent des livres très différents aux qualités littéraires inégales. La littérature jeunesse regorge de romans de formation. On apprend dans Twilight ce qu’est une fille, ce qu’est un garçon, ce qu’est l’amour. Et si on apprend à être une fille ou un garçon, on se positionne alors dans le groupe", analyse Sylvie Octobre. "Mais quelle vision de la sexualité ont les jeunes en lisant Fifty shades of Grey ? Il serait intéressant de se pencher sur ce que la littérature contemporaine véhicule dans leur formation des jeunes. Je me souviens d’une jeune fille qui s’était ennuyée à la lecture de Madame Bovary parce qu’elle ne comprenait pas Emma Bovary, son oisiveté, ses interrogations et la passivité de Charles…", ajoute-t-elle. Pour la sociologue, il reste encore des zones inexplorées dans les lectures des adolescents, notamment "ces romans de fantasy apocalyptique venus d’une autre tradition culturelle, qui véhiculent un rapport aux normes, à la loi, au pouvoir, aux sexes, à l’héroïsme… et des modèles hégémoniques sur lesquels on n’a pas réfléchi".

L’enquête souligne aussi que 19 % des jeunes ont pratiqué la lecture numérique, sur support mobile - tablettes, liseuses et smartphones - mais "ce sont les filles de plus de 15 ans qui sont les plus adeptes de la lecture numérique - à 27 % - en particulier dans les transports". 12 % des 7-19 ans ont lu des fan-fictions, et 4 % en écrivent.

Paysage hétérogène

Une autre enquête, plus marginale mais importante dans le cadre de la réforme des temps périscolaires, sur la place du livre dans les centres de loisirs, initiée par le CPLJ 93-Salon du livre et de la presse jeunesse, réalisée avec l’organisme de recherche Kerfad, avec le soutien du ministère de la Culture, qui sera présentée au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, constate "une grande disparité". 97 % des répondants ont déclaré avoir des livres et des revues dans leurs centres de loisirs, mais seulement 51 % de ces derniers ont un budget pour des acquisitions. Les bibliothèques des centres sont constituées à 42 % de dons, et à 35 % de prêts ou de dons provenant des bibliothèques publiques. Elle met aussi l’accent sur le manque de formation, "principal frein à la circulation et à l’usage des livres en accueil de loisirs". 31 % des temps d’animation consacrés au livre et à la lecture en accueils loisirs sont portés par des bibliothécaires, seuls ou en appui des animateurs (qui eux en réalisent 95 %). Mais, précise l’étude, "en matière de prêts de fonds, conseils pour des achats ou des actions, soutien des initiatives, des expériences très riches et fructueuses existent. Là encore le paysage est très hétérogène." D’autre part, 17,5 % des animations sont portées par les parents, principaux pourvoyeurs de dons en livre. "Les réalités diffèrent d’un accueil-loisirs à un autre et se développent de façon purement empirique. Cette question n’est pas maîtrisée au plan professionnel", conclut l’étude. "C’est un domaine peu professionnalisé qui échappe beaucoup aux professionnels du livre", renchérit Sylvie Vassallo.

Reste que face à une production pour les adolescents particulièrement riche, le rapport à la lecture et à l’écriture a changé. Comme le souligne Louise Deforge, 14 ans, face à l’auteure Anne Percin (Rouergue) dans la série "Miroirs" : "Je ne sais pas si je voudrais être un livre, mais je sais dans quel livre je voudrais être… dans Harry Potter", précise-t-elle, révélant qu’"une fois qu’on a démarré, même si on revient dessus, le plaisir de l’écriture est comme un fleuve qui coule".

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