Avant-critique Roman

Alaa El Aswany, "Au soir d'Alexandrie" (Actes Sud)

Alaa El Aswany - Photo © Abdallah Hassan

Alaa El Aswany, "Au soir d'Alexandrie" (Actes Sud)

Mettant en scène un groupe d'amis pris au piège d'une machination policière dans l'Égypte des années 1960, Alaa El Aswany déplore la fin de l'Alexandrie cosmopolite et polyglotte sous la dictature de Nasser.

Parution 4 septembre

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 03.09.2024 à 09h00

La fin d'un monde. Lorsqu'il a écrit la dernière scène de son roman, quand l'industriel Tony Kazzan, fabricant de chocolat, philanthrope d'origine grecque, doit quitter sa chère Alexandrie pour Londres parce que son entreprise a été nationalisée (confisquée en fait), Alaa El Aswany n'a pas pu ne pas penser à sa propre situation, toutes proportions gardées. Bien qu'il soit un écrivain mondialement célèbre depuis le triomphe de L'immeuble Yacoubian (2005) et un patriote sincère amoureux de l'Égypte, son œuvre est maintenant interdite dans son pays. N'ayant plus le droit de s'exprimer, d'écrire dans les journaux, il s'est donc exilé aux États-Unis, en attendant, peut-être, qu'une nouvelle révolution amène enfin un jour un régime démocratique dans un pays qui ne l'a jamais vraiment connu. Au contraire, depuis le coup d'État de 1952, puis la toute-puissance de Nasser à partir de 1954, il n'a subi qu'une série de dictatures, dont celle, actuelle, du maréchal al-Sissi.

El Aswany nous ramène donc à Alexandrie, la plus cosmopolite, la plus polyglotte, la plus littéraire des villes d'Égypte, en 1964-1965. Un petit club d'amis de tous horizons, surnommé le Caucus, a pris l'habitude, chaque soir après la fermeture, de se réunir dans un salon privé du restaurant Artinos, fondé par Georges (d'origine grecque) et maintenant tenu par sa fille Lyda, secondée par le beau Carlo Sabatini, un Napolitain qui a beaucoup de succès auprès des femmes. Il y a là le grand avocat Abbas el-Qosi, sa femme Noha Shawarbi, fille du pacha Ismaïl, devenue guide touristique, le peintre Anas el-Saïrafi, portraitiste sur le vif et enseignant les beaux-arts dans un lycée catholique de jeunes filles, Chantal Lemaître, une Française alcoolique et provocatrice, patronne de la célèbre librairie Balzac, et Tony Kazzan, donc. Entre eux, jusqu'à, l'aube, ce sont des conversations libres et animées sur tous les sujets, notamment politiques, et l'alcool coule à flots. Comment ces braves gens pourraient-ils se douter que, depuis des années, ils sont sous surveillance de la police secrète d'État, et que des officiers malveillants n'attendent qu'une occasion pour les inquiéter, voire leur faire quitter le pays, qu'ils soient étrangers ou de nationalité égyptienne, et même si Alexandrie est leur patrie commune ? Tout commence lorsqu'un comptable arriviste, Galil el-Qosi, le frère de l'avocat, employé à la chocolaterie Kazzan, accepte de devenir un espion et un mouchard, recruté par Badaoui, un fanatique de la révolution, lui-même commercial chez Kazzan. Il en viendra à dénoncer son propre patron et causer sa perte. Et puis il y a cette affaire d'espionnage, où la police compromet Carlo Sabatini et Lyda. Elle-même devra partir. Comme peut-être un jour Chantal, obligée de mettre un terme à sa liaison avec le colonel Sélim qui pourrait sinon avoir de graves ennuis. Quant à Anas, il est remercié de son école de bonnes sœurs...

Petit à petit, la machination policière se referme sur les membres du Caucus, et le rythme du roman, lent et majestueux comme le Nil, s'accélère. « L'Alexandrie que nous avons connue disparaît maintenant peu à peu pour laisser place à une autre Alexandrie qui ne nous aime pas », conclut Anas, blessé.

Alaa El Aswany
Au soir d'Alexandrie
Actes Sud
Traduit de l’arabe (Égypte) par Gilles Gauthier
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 23,50 € ; 384 p.
ISBN: 9782330194208

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