Photo MATHIEU BOURGOIS AGENCY

Grosse fatigue. Un volcan islandais et une manifestation littéraire lyonnaise ont eu raison de la belle vitalité de ce grand gaillard d'un mètre quatre-vingt-dix. Lorsque, le regard lourd et las, Alan Warner s'attable au comptoir d'un café parisien voisin de son éditeur pour évoquer sa trajectoire d'écrivain, on se dit que cette rencontre risque de n'être pas une sinécure. Lorsque, deux heures et un litre de bière blonde plus tard, on se quitte comme à regret, il apparaît que finalement il n'est de lassitude que ne puissent dissiper les plaisirs de la conversation...

Alan Warner est à Paris pour défendre Les étoiles dans le ciel radieux, son cinquième roman traduit en français. L'histoire de Manda, Key, Chell, Kylah et Fionnula, cinq gamines écossaises issues de la classe moyenne ou du prolétariat (auxquelles Warner a cette fois-ci adjoint Ava, une très belle grande bourgeoise anglaise), déjà croisées dans Les sopranos (Jacqueline Chambon, 2000), décidées à prendre ensemble quelques jours de vacances.

Les cinq filles n'ont guère changé et ne se sont pas vraiment assagies. La vie s'est juste chargée à grands coups de grossesses non désirées, de petits boulots minables, de gueules de bois et de rêves étroits de leur rappeler qu'elles étaient nées du mauvais côté du plafond de verre. Malgré tout, elles n'ont pas pris une ride et le talent de Warner non plus. Si ce n'est qu'il s'est encore amplifié, composant pour l'occasion un opéra des gueux où l'argot est une chanson douce, et l'humour l'épée de bois des faibles.

Ce monde prolétarien écossais, où la défaite est le seul horizon, et qui ne peut offrir d'autre idéal à sa jeunesse que la notoriété factice d'un show de téléréalité, Alan Warner le connaît bien. Il en est issu. Son père, ancien soldat ayant fait les campagnes d'Italie et d'Afrique du Nord, épouse sa mère en Australie. Ayant quitté l'armée, le jeune couple rentre au pays - dans les Highlands - et y assure bientôt la gérance d'un hôtel. L'établissement ne recèle aucun livre en son sein. La lecture vient donc à Alan en même temps que la puberté, le refus de poursuivre ses études et, un peu plus tard, en 1984, la fuite vers l'Angleterre. Il se souvient avoir lu à cette époque L'immoraliste de Gide sans cesser de trembler, ignorant qu'un livre pouvait avoir cet effet cathartique-là. C'est aussi l'époque où il découvre qu'il est permis d'être jeune, et avec cette permission un certain nombre de plaisirs illicites et d'autres mieux considérés, comme le cinéma de Tarkovski, La nuit américaine de Truffaut, Sans toit ni loi de Varda ou la new-wave, bande-son de ces années 1980 naissantes.

Le mal du pays

Le désir d'écriture naîtra paradoxalement du mal du pays qui l'étreint à son arrivée à Londres. Lui qui n'avait jamais vraiment lu que les "Penguin Classics" découvre les romanciers écossais essentiels de son temps, au premier rang desquels Alasdair Gray et James Kelman. Et ce qui lui apparaissait jusqu'alors comme une activité pratiquée par et pour les seules classes supérieures prend une résonance nouvelle. Décidé à "écrire des livres sur les gens normaux", il griffonne chaque soir quelques pages d'une vieille histoire autour d'une fille de chez lui, joliment paumée. Il donne à son manuscrit le nom de son héroïne, Morvern Callar, et est instantanément publié chez Jonathan Cape et bientôt dans le monde entier, mais aussi adapté à l'écran (le très réussi Voyage de Morvern Callar de Lynne Ramsay, 2002). La messe est dite qui l'ordonne romancier, et parmi les plus intéressants de ce temps. Lui préfère parler de ceux qui le fondent, Dennis Johnson, Annie Proulx, Cormac McCarthy et, en France, Patrick Modiano. Après quelques années de vie en Espagne, du côté d'Alicante, dont témoigne ce qui demeure peut-être son chef-d'oeuvre, Le dernier paradis de Manolo (Christian Bourgois, 2007), il est revenu vers son Ecosse natale, enseignant désormais à l'université d'Edimbourg. Une façon peut-être aussi de s'imprégner mieux et plus du terreau de ce qui devrait fonder son prochain livre : l'attentat contre un Boeing de la Pan-Am, qui dans le ciel de Lockerbie fit le 21 décembre 1988 270 victimes.

Les étoiles dans le ciel radieux, Alan Warner, Christain Bourgois, traduit de l'anglais par Catherine Richard, 514 p., sortie : 25 août.

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