L'origine du monde. Tout commence par la mer et tout pourrait finir avec. Les poètes l'ont chantée, les marins l'ont redoutée, les vacanciers s'y sont baignés. Et les historiens ? Peu s'y sont frottés tant le risque de s'y noyer est grand, à moins de réduire le champ à un espace (la Méditerranée, la mer Rouge), une thématique (la pêche, la faune, les naufrages) ou un personnage (Magellan, le commandant Cousteau, Tabarly). Dans une approche globale, il y eut le succès des Histoires de la mer de Jacques Attali (Fayard, 2017), La grande histoire vue de la mer de Christian Buchet (Cherche Midi, 2017) et La mer, 5 000 ans d'histoire rédigé par un collectif (Les Arènes, 2022).

Mais dans ce nouveau livre, Alessandro Vanoli converge par l'esprit vers un auteur plus ancien, parce qu'il a voulu lui aussi prendre en compte la dimension du songe : Jules Michelet, dans La mer (1861), traitait ce grand corps liquide comme un élément encore méconnu et ténébreux dans lequel l'imagination était facilement soluble. C'est elle qui délimite les continents et c'est avec elle que commencent la géographie et l'écologie. L'historien italien entreprend donc cette grande traversée en un volume, en restant à flot après avoir digéré des quantités de lectures et en gardant le cap d'une aventure d'où la nôtre est sortie il y a 3,2 millions d'années.

De cette soupe primitive ont surgi la civilisation, la mondialisation et la pollution. Pour nous aider à circuler dans ces nombreux savoirs, Alessandro Vanoli a adopté le principe d'une histoire chronologique non linéaire. Son récit alerte progresse par petits paragraphes en laissant la place à l'inattendu, comme pour donner un peu de gîte à l'ensemble et ballotter ses lecteurs. Le dispositif lui permet des parenthèses sur la coquille Saint-Jacques, la morue, la tortue ou les perles. Dans les différents chapitres, il aborde les cartes, les bateaux, le droit maritime, le scorbut, l'océanographie, les migrations, les canaux de Suez et de Panama, le Hollandais volant ou le Titanic.

Les poètes ont chéri cent fois cette étendue d'eau qui couvre les trois quarts de la Terre, à commencer par le premier d'entre eux, Homère. Avec l'Odyssée il a composé la première ode à la mer et aux navigateurs. Puis les sociétés ont tissé avec elle des liens privilégiés. Elle fut le vecteur de découvertes, de guerres, de l'esclavage, de la mondialisation. Vanoli croise les documents et les disciplines. Il passe vite sur les premiers millions d'années où le temps géologique semble immobile. Puis apparaissent la vie, les animaux, les hommes et tant de légendes sur le Léviathan, le kraken ou le triangle des Bermudes. Cette Histoire de la mer, c'est aussi celle de Debussy ou de Trenet, celle de Bashung avec ses golfes pas très clairs, celle des vacances au bord de l'eau, celle peinte par Monet au Havre ou celle menacée par la surexploitation et les déchets. On comprend la réussite en Italie du livre d'Alessandro Vanoli tant le sujet est riche, tant la mer offre à la Terre ce qu'elle a de meilleur.