Le fameux générique de la série
The persuaders (en français,
Amicalement vôtre) résume en images, sur une musique de John Barry
[1], les destins croisés mais bien différents de Danny Wilde (alias Tony Curtis) et de Brett Sinclair (alias Roger Moore). Les destins réciproques de Google Books et d’Internet Archive pourraient donner lieu à un semblable portrait croisé, présentant leurs dissemblances – et leur rencontre ?
Né officiellement "Google Print" à la foire du livre de Francfort en 2004 et initié par Larry Page, l’un des créateurs du fameux algorithme de Google, le projet finalement devenu "Google Books" visait à rien de moins que numériser et mettre à disposition du public 15 millions de livres en dix ans – en attendant mieux.
Partenaires prestigieux
Né en 1996 à l’initiative de Brewster Kahle, Internet Archive se propose, au départ, d’archiver le web. Ce n’est que plus tard que la société, à but non lucratif, commencera à numériser des ouvrages, sans avoir de plan défini, et en tout état de cause rien d’aussi ambitieux que "Google Print".
Pour "Google Print" devenu en 2005 "Google Book Search", Google passe contrat avec un certain nombre de bibliothèques comme, parmi les plus prestigieuses, la bibliothèque "historique" de l’université du Michigan, celles de Stanford et de Harvard, et avec un partenaire français, la bibliothèque municipale de Lyon.
Internet Archive numérise, de manière un peu comparable, les fonds de grandes bibliothèques et d’institutions culturelles, et collabore notamment avec la Bibliothèque nationale de France – mais sur des collections archivistiques, et non des livres.
Opposition et procès
Dès le départ, "Google Book Search", qui argue du "
fair use" pour numériser les ouvrages sans l’autorisation des auteurs et des éditeurs, se heurte à l’opposition de leurs représentants, aux Etats-Unis et dans le reste du monde. S’en suit une longue série de procès, puis un accord semble trouvé, connu sous le nom de "Google Book Settlement". Mais, après une série de décisions juridiques prises en 2016 et que seuls les spécialistes de droit américain peuvent comprendre, Google n’est autorisé à diffuser, pour les ouvrages qui ne sont pas dans le domaine public, que des extraits.
Internet Archive, qui faisait partie du front "anti-Google" dont il était l’un des plus vifs activistes, est désormais menacé de procès par de grandes associations d’auteurs américaines et anglaises. Ces dernières récusent la notion de "
controlled digital lending" (CDL) mise en avant par Internet Archive pour, là encore, numériser sans autorisation des ouvrages non entrés dans le domaine public. Internet Archive avance l’argument que cette numérisation est autorisée dans la mesure où la version numérisée ne peut être prêtée, via le CDL, qu’en un seul "exemplaire" numérique à la fois, à des usagers dûment enregistrés dans la "bibliothèque" d’Internet Archive, The Open Library.
25 millions de livres
On ne sait pas trop où en sont les opérations de numérisation menées par Google, mais il est certain que le programme (relégué dans les profondeurs de la page d’accueil) se poursuit désormais à petite vitesse. Il aurait coûté entre 400 et 500 millions de dollars, et 25 millions de livres, représentant 60 petaoctets de stockage, pourraient, d’après un article de
The Atlantic[2], être mis à disposition du monde entier en quelques minutes.
Internet Archive annonce un budget annuel d’environ 10 millions de dollars, essentiellement par don, et revendique plus de 15 millions d’ouvrages
et de textes, puisque, en fait, Internet Archive est un gigantesque "écosystème numérique", qui propose aussi des films de cinéma et de télévision, des images, des programmes informatiques, des fonds d’archives, etc.
De son côté, Google (désormais filiale d’Alphabet, créée en 2015) a racheté en 2006 Youtube, qui offre, en
streaming uniquement, films de cinéma et de télévision.
"Peine de substitution"
Lors de leur première rencontre, Danny Wilde et Brett Sinclair se détestent instantanément, et provoquent une bagarre dans un hôtel de luxe de la "French Riviera". Après leur arrestation, le juge leur propose une "peine de substitution", pour réparer une injustice – ce qu’ils feront dans les (seulement) 24 épisodes de la série, développant au passage une solide amitié.
Qu’Internet Archive et Google Books se détestent n’est plus à prouver. Qu’ils soient passés devant le juge reste pour Internet Archive – si on ose – à faire. On l’aura compris, restera alors à trouver un juge (incarné, dans la série, par le délicieux Laurence Naismith) qui puisse leur appliquer, pour l’intérêt des internautes du monde entier, une "peine de substitution" profitable à tous, auteurs et éditeurs compris, dans le respect du droit. On ne voit guère que l’Etat fédéral qui pourrait jouer ce rôle-là et c’est écrire que la chose n’est pas près d’arriver.