31 décembre > Roman France

Les livres d’Olivier Cadiot, on ne peut pas vous en faire le résumé. La question "Qu’est-ce que ça raconte ?" n’a pas de sens. "Comment ça raconte ?" conviendrait peut-être mieux. Mais c’est compliqué, car cela fait quand même plus de trente ans que l’écrivain met la littérature en question, en équations paradoxales, en abyme, essaie de la prendre par-dessous, sur le côté, de la dévorer de l’intérieur, en cannibale. C’est de l’artisanat littéraire in progress, in vivo. Pas de l’obscur pour l’obscur, mais au contraire l’ambition de trouver une forme pour dire simplement des idées compliquées. C’est théorique et pourtant très incarné, sérieux mais ludique, vertigineux et drôle.

Un temps, l’auteur d’Un mage en été (2010) a fabriqué des poèmes en découpant - littéralement - des livres. Il le "raconte", indirectement, dans Providence. Il a délaissé la poésie parce qu’elle ne permettait pas d’écrire la violence (on caricature) et fait des tas d’expériences avec la fiction (imaginer le Lucien de Rubempré des Illusions perdues en femme).

Providence ouvre sur une apostrophe post-rupture. Un personnage "abandonné", "congédié", vient régler son compte à son créateur. Il a un petit côté sadique, exagère sans doute un peu son rôle. "J’étais ta pensée pendant que tu agissais et ton action pendant que tu pensais." On croit reconnaître le Robinson de Cadiot, héros plastique, raté un peu affolé, qui, depuis 1993, s’est agité dans presque tous ses livres, de Futur, ancien, fugitif (1993) à Un nid pour quoi faire (2007) en passant par Le colonel des zouaves (1997), Retour définitif et durable de l’être aimé (2002) et Fairy queen (2002). "L’employé modèle pour un roman", disait de lui Cadiot dans un entretien à Vacarme en 2008. Alors bien sûr, on croit lire une étape dans l’œuvre, un tournant, qui sait ? une impasse.

"Tu n’as plus de sujet", assène sans ménagement la créature à son auteur. En miroir, l’auteur en question a l’air bien désemparé. "Il y a des moments où on ne sait plus vraiment ce que l’on pense", semble renchérir un peu plus loin un jeune homme qui devient… une vieille dame. Plus tard, on croisera aussi des jumelles mécènes excentriques, une jeune provinciale ambitieuse qui a "envie de faire un Balzac", Darwin lancé dans des expériences de botanique en chambre, toutes sortes de bords de lacs, un vieux photographe au rebut qui archive "les photos d’enfants flous" et conseille de plisser les yeux pour voir surgir décors et personnages.

"Des mots en forme de choses, des phrases dont on entend juste la courbe - ça fait des visages. C’est beau." En plissant les yeux, le lecteur, lui, peut voir dans les livres de Cadiot de la vraie poésie dans du faux roman. C’est beau.

Véronique Rossignol

21.11 2014

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