C’est son éditeur qui l’écrit : "Anne Brochet a renoncé à son statut de star pour faire ce qui lui plaît." Si naïve que paraisse la formulation (si parcellaire aussi, tant rien n’est jamais tout à fait aussi simple), il y a de cela. Quelque chose d’intrigant où c’est moins la "star" qui retient l’attention que le renoncement et le plaisir en allés. Anne Brochet, ce fut, l’espace de quelques films, de quelques années, du Masques de Chabrol à Tous les matins du monde de Corneau pour aller vite, un éclair de pâleur et de mystère dans un cinéma français pas encore totalement dévolu à la "girl next door". A peine avait-on pu se demander où mènerait tant de grâce et de quant-à-soi, qu’elle avait disparu ; partie à New York, faire un enfant, des films qui ne la méritaient pas. Pas assez "arty" pour être vraiment culte, juste une fille absente, à elle-même d’abord, ce qui pour une actrice est un péché mortel. Comme d’être douée pour un truc qui, peut-être, ne l’intéresse pas tant que cela, la comédie, donc. Si Anne Brochet s’en échappe tant et si bien, c’est qu’elle a mieux à faire. Ecrire. Qui lui permet, mieux que sur n’importe quel plateau, de n’être ni tout à fait elle-même ni tout à fait une autre. De se cacher, de se révéler, selon son propre rythme.
Ce fut d’abord, en 2001, un scénario, pourquoi pas de BD, qui arrive plus ou moins incidemment entre les mains de Louis Gardel au Seuil et devient Si petites devant ta face, le premier roman. D’emblée, en germe, un ton ; en tout cas, rien qui rappelle les vaines tentatives romanesques d’actrices entre deux rôles encore ou déjà entre deux âges… S’ensuivront, toujours au Seuil, un autre roman, Trajet d’une amoureuse éconduite (2005), un recueil de nouvelles, La fortune de l’homme (2008) et un récit, magnétique, promenade photographique dans les rues désertes d’une petite ville du Sud-Ouest, Un tour en ville (2009). Et aujourd’hui, ce Grain amer, livre de l’accomplissement littéraire, ambitieux et moderne jusque dans son refus de la maîtrise et de la fiction pure.
Confession piégée
Deux voix. Celle d’Anne Brochet, de son enfance, de son village, de la maison de son grand-père, meunier et industriel, de ses mystérieux et riches voisins, des juifs, murmurait craintive la petite fille… Autre voix, celle de Sylvia, une femme qui veut être juive et part pour cela vivre à Tel-Aviv. Deux voix, une seule vie. Celle d’Anne Brochet qui joue ici en virtuose de la confession piégée, de l’autofiction qui fait mine de n’en pas être. On interroge l’auteure à quelques jours d’un de ces grands départs (de l’autre côté de la mer, de l’horizon) dont elle semble parfois coutumière. Elle avoue "n’être jamais à l’abri que dans le dévoilement et, de toute façon, ne pas croire à sa propre vérité". Qu’elle se rassure, ici ou là-bas, elle reste cachée. Quiconque la trouvera la lira. Olivier Mony
Anne Brochet
Le grain amer
Seuil
Prix : 19 euros, 280 p.
Sortie : 2 avril
ISBN : 978-2-02-123083-3